Ottawa se dit «ouvert» à criminaliser
le contrôle coercitif
L’actualité l’a cruellement rappelé la fin de semaine dernière : le système judiciaire est parfois mal outillé pour contrer les dynamiques de violence conjugale et familiale et prévenir des féminicides et des filicides. Pour offrir une réponse plus « vigoureuse » aux violences fondées sur le genre, Ottawa se dit aujourd’hui « ouvert » à créer une infraction liée au contrôle coercitif dans le Code criminel.
Dans une lettre récemment envoyée au bureau du coroner en chef de l’Ontario, dont Le Devoir a obtenu copie, le ministre canadien de la Justice, Arif Virani, écrit que le gouvernement canadien travaille présentement « à combler les lacunes dans le Code criminel pour faire en sorte que le système réponde vigoureusement » à ce qu’il appelle « l’épidémie de violence fondée sur le genre ».
En réponse aux questions du Devoir, le ministère canadien de la Justice précise que le gouvernement est « ouvert » à criminaliser le contrôle coercitif et qu’il « s’affaire à mobiliser les gouvernements provinciaux et territoriaux, les défenseurs des victimes et survivants et survivantes de violence fondée sur le sexe, les fournisseurs de services, les chercheurs universitaires et d’autres intervenants afin de guider ces travaux ».
Le 22 mars dernier, l’Assemblée nationale avait adopté à l’unanimité une motion présentée par la députée solidaire Christine Labrie qui réclamait la création par Ottawa d’« un groupe de travail fédéral-provincial-territorial d’experts chargés de faire des recommandations » en vue de créer une infraction de comportement coercitif et contrôlant dans le Code criminel.
Une première rencontre de ce groupe de travail a eu lieu en juin dernier, a indiqué au Devoir le cabinet du ministre québécois de la Justice et procureur général du Québec, Simon Jolin-Barrette. Des consultations plus larges devraient avoir lieu dans les prochaines semaines, rapportent pour leur part des organismes oeuvrant auprès des victimes.
Selon le cabinet du ministre Jolin-Barrette, « le Code criminel ne permet pas de tenir compte de certaines manifestations de la violence conjugale et des préjudices importants causés par ceux-ci, puisqu’aucune infraction n’englobe le contrôle coercitif dans son intégralité ».
Cage de verre Louise Riendeau, du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, milite depuis plusieurs années pour que le contrôle coercitif soit inclus dans le Code criminel. Une avenue qui permettrait de reconnaître avec plus d’acuité la réalité des victimes de violence conjugale, dit-elle.
Le contrôle coercitif peut être comparé à une cage de verre dans laquelle un partenaire « impose sa volonté, ses opinions, sa façon de faire et sa façon de penser en utilisant des comportements violents », résume l’organisme SOS Violence conjugale sur son site Internet.
« Les victimes ont l’impression de marcher sur des oeufs. Si elles ne se conforment pas aux exigences du conjoint sur la façon de faire le ménage, de faire la cuisine ou d’élever les enfants, elles peuvent vivre des conséquences », détaille Louise Riendeau. Des gestes qui peuvent être parfois subtils, ou même sembler anodins pour des proches, mais qui détruisent l’estime de soi et l’emprise que la victime a sur sa vie.
Le contrôle coercitif, qui doit être analysé sous l’angle du rapport de pouvoir, peut inclure de la violence physique et sexuelle, mais pas nécessairement. Il peut se manifester par des humiliations en public, un contrôle des déplacements par géolocalisation, de la surveillance de textos, un isolement des proches, etc.
Les informations ayant circulé sur Ianik Lamontagne, cet homme qui aurait tué ses jumeaux de trois ans samedi dernier près de Joliette avant de se suicider, laissent croire que ses comportements s’inscrivaient dans une dynamique de contrôle coercitif. Selon des médias, l’homme avait placé un traqueur GPS dans la voiture de la mère de ses enfants et des micros dans sa résidence à la suite de leur séparation.
Pas d’accusation de violence conjugaleActuellement, aucune infraction criminelle spécifiquement liée à la violence conjugale n’existe au Canada. Pour qu’une accusation soit déposée, elle doit être rattachée à un événement précis au cours duquel une infraction de voie de fait,
de harcèlement ou encore de menace a été commise.
Au moment du procès, il est hasardeux de rendre compte de la situation générale dans laquelle se trouve une victime, fait remarquer Rachel Chagnon, doyenne de la Faculté de science politique et droit de l’UQAM et membre de l’Institut de recherches et d’études féministes.
« La personne [qui est l’agresseur] est accusée d’un geste, d’un événement. On va [faire référence] à un coup de poing qui a été donné tel soir à tel endroit. C’est très difficile d’amener dans la discussion [en cour] ce qui entoure le coup de poing, tout ce qui est du registre de l’attitude, des comportements toxiques qui font en sorte que c’est pas juste un coup de poing, mais un acte de violence qui participe à un crime qui est beaucoup plus grave », analyse la professeure.
Inclure le contrôle coercitif dans le Code criminel permettrait « de créer un crime qui, comme le harcèlement criminel, n’est pas juste fondé sur un événement, mais qui s’intéresse à une typologie de comportements », ajoute Rachel Chagnon. Une infraction qui traduirait d’une « manière plus juste » la gravité de la situation et des gestes posés à l’encontre d’une victime, poursuit-elle. Des juridictions ailleurs dans le monde, dont en Écosse, ont légiféré en ce sens dans les dernières années.
Louise Riendeau dit avoir bon espoir que les travaux pilotés par le gouvernement fédéral déboucheront sur la création d’une infraction de contrôle coercitif. Cette reconnaissance officielle donnerait de surcroît de meilleurs outils pour lutter contre les féminicides, note-t-elle. « Une recherche menée aux États-Unis a déterminé que, dans le tiers des homicides conjugaux, le premier geste de violence physique, c’est le meurtre. Alors que dans une autre recherche menée en Angleterre, on apprend que dans 92 % des dossiers étudiés il y avait eu du contrôle coercitif avant l’homicide conjugal. »
Dans une lettre récemment envoyée au bureau du coroner en chef de l’Ontario, dont Le Devoir a obtenu copie, le ministre canadien de la Justice, Arif Virani, écrit que le gouvernement canadien travaille présentement « à combler les lacunes dans le Code criminel pour faire en sorte que le système réponde vigoureusement » à ce qu’il appelle « l’épidémie de violence fondée sur le genre ».
En réponse aux questions du Devoir, le ministère canadien de la Justice précise que le gouvernement est « ouvert » à criminaliser le contrôle coercitif et qu’il « s’affaire à mobiliser les gouvernements provinciaux et territoriaux, les défenseurs des victimes et survivants et survivantes de violence fondée sur le sexe, les fournisseurs de services, les chercheurs universitaires et d’autres intervenants afin de guider ces travaux ».
Le 22 mars dernier, l’Assemblée nationale avait adopté à l’unanimité une motion présentée par la députée solidaire Christine Labrie qui réclamait la création par Ottawa d’« un groupe de travail fédéral-provincial-territorial d’experts chargés de faire des recommandations » en vue de créer une infraction de comportement coercitif et contrôlant dans le Code criminel.
Une première rencontre de ce groupe de travail a eu lieu en juin dernier, a indiqué au Devoir le cabinet du ministre québécois de la Justice et procureur général du Québec, Simon Jolin-Barrette. Des consultations plus larges devraient avoir lieu dans les prochaines semaines, rapportent pour leur part des organismes oeuvrant auprès des victimes.
Selon le cabinet du ministre Jolin-Barrette, « le Code criminel ne permet pas de tenir compte de certaines manifestations de la violence conjugale et des préjudices importants causés par ceux-ci, puisqu’aucune infraction n’englobe le contrôle coercitif dans son intégralité ».
Cage de verre Louise Riendeau, du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, milite depuis plusieurs années pour que le contrôle coercitif soit inclus dans le Code criminel. Une avenue qui permettrait de reconnaître avec plus d’acuité la réalité des victimes de violence conjugale, dit-elle.
Le contrôle coercitif peut être comparé à une cage de verre dans laquelle un partenaire « impose sa volonté, ses opinions, sa façon de faire et sa façon de penser en utilisant des comportements violents », résume l’organisme SOS Violence conjugale sur son site Internet.
« Les victimes ont l’impression de marcher sur des oeufs. Si elles ne se conforment pas aux exigences du conjoint sur la façon de faire le ménage, de faire la cuisine ou d’élever les enfants, elles peuvent vivre des conséquences », détaille Louise Riendeau. Des gestes qui peuvent être parfois subtils, ou même sembler anodins pour des proches, mais qui détruisent l’estime de soi et l’emprise que la victime a sur sa vie.
Le contrôle coercitif, qui doit être analysé sous l’angle du rapport de pouvoir, peut inclure de la violence physique et sexuelle, mais pas nécessairement. Il peut se manifester par des humiliations en public, un contrôle des déplacements par géolocalisation, de la surveillance de textos, un isolement des proches, etc.
Les informations ayant circulé sur Ianik Lamontagne, cet homme qui aurait tué ses jumeaux de trois ans samedi dernier près de Joliette avant de se suicider, laissent croire que ses comportements s’inscrivaient dans une dynamique de contrôle coercitif. Selon des médias, l’homme avait placé un traqueur GPS dans la voiture de la mère de ses enfants et des micros dans sa résidence à la suite de leur séparation.
Pas d’accusation de violence conjugaleActuellement, aucune infraction criminelle spécifiquement liée à la violence conjugale n’existe au Canada. Pour qu’une accusation soit déposée, elle doit être rattachée à un événement précis au cours duquel une infraction de voie de fait,
de harcèlement ou encore de menace a été commise.
Au moment du procès, il est hasardeux de rendre compte de la situation générale dans laquelle se trouve une victime, fait remarquer Rachel Chagnon, doyenne de la Faculté de science politique et droit de l’UQAM et membre de l’Institut de recherches et d’études féministes.
« La personne [qui est l’agresseur] est accusée d’un geste, d’un événement. On va [faire référence] à un coup de poing qui a été donné tel soir à tel endroit. C’est très difficile d’amener dans la discussion [en cour] ce qui entoure le coup de poing, tout ce qui est du registre de l’attitude, des comportements toxiques qui font en sorte que c’est pas juste un coup de poing, mais un acte de violence qui participe à un crime qui est beaucoup plus grave », analyse la professeure.
Inclure le contrôle coercitif dans le Code criminel permettrait « de créer un crime qui, comme le harcèlement criminel, n’est pas juste fondé sur un événement, mais qui s’intéresse à une typologie de comportements », ajoute Rachel Chagnon. Une infraction qui traduirait d’une « manière plus juste » la gravité de la situation et des gestes posés à l’encontre d’une victime, poursuit-elle. Des juridictions ailleurs dans le monde, dont en Écosse, ont légiféré en ce sens dans les dernières années.
Louise Riendeau dit avoir bon espoir que les travaux pilotés par le gouvernement fédéral déboucheront sur la création d’une infraction de contrôle coercitif. Cette reconnaissance officielle donnerait de surcroît de meilleurs outils pour lutter contre les féminicides, note-t-elle. « Une recherche menée aux États-Unis a déterminé que, dans le tiers des homicides conjugaux, le premier geste de violence physique, c’est le meurtre. Alors que dans une autre recherche menée en Angleterre, on apprend que dans 92 % des dossiers étudiés il y avait eu du contrôle coercitif avant l’homicide conjugal. »