Les Canadiens souffrant de COVID
longue durée pourront-ils opter pour
l’aide médicale à mourir?
Des médecins se demandent si la COVID longue durée, une maladie encore mal comprise, pourrait répondre aux critères pour l’obtention de l’aide médicale à mourir. Le dossier d’une Torontoise atteinte de la maladie qui en a récemment fait la demande
pourrait offrir l’une des premières pistes de réponse.
Tracey Thompson ne se doutait pas qu’elle aurait encore des symptômes de la COVID-19 en 2022 lorsqu’elle l’a contractée une première fois en mars 2020, avant les vaccins et quand on en savait peu sur la maladie. Ses premiers symptômes étaient bénins, raconte-t-elle au bout du fil : « Je n’ai pas eu besoin d’être hospitalisée, mais ma situation ne s’est jamais améliorée. »
Ces temps-ci, la Torontoise passe souvent ses journées au lit. « Ma mémoire n’est pas bonne ; je suis sensible aux écrans ; j’ai de la difficulté à lire ; certains jours, j’ai de la difficulté à écouter », énumère-t-elle. « Ma fréquence cardiaque est aussi souvent élevée. » Quand elle en a parlé pour la première fois à des experts, on lui a demandé si elle cachait un problème de consommation :
« C’était épeurant et décourageant », confie-t-elle.
En raison des effets de la COVID longue durée, elle ne travaille plus depuis plus de deux ans, un facteur important dans sa décision de demander l’aide médicale à mourir. À lui seul, cet élément rend son cas complexe — voire troublant —, selon des experts consultés par Le Devoir. Mais la condition même de Tracey Thompson l’est tout autant.
Des recherches sont en cours, au Canada et ailleurs dans le monde, pour que l’on comprenne
mieux la COVID longue durée et les possibilités de rétablissement.
D’après le médecin torontois Kieran Quinn, qui s’intéresse au syndrome post-COVID, l’argumentaire de Tracey Thompson pour recourir à l’aide médicale à mourir repose surtout sur le critère du « problème de santé grave et irrémédiable » et l’un de ses sous-critères, soit que la personne ait un « état de déclin avancé » et irréversible. La COVID longue durée n’est toutefois vieille que de deux ans, et il est peut-être trop tôt pour en arriver à la conclusion que la maladie est « irrémédiable », prévient-il. Mais la décision dépendra au bout du compte
de l’évaluation faite par les spécialistes consultés par la Torontoise.
La professeure de l’Université Western Grace Parraga, qui étudie elle aussi la maladie, est du même avis. La situation des personnes souffrant de la COVID longue durée est « terrible », se désole-t-elle, mais il y a un « rayon d’espoir ». « Nous avons des données, non publiées et pas encore révisées par des pairs, qui démontrent un certain rétablissement », dit-elle.
« Certains médecins consultés par la patiente pourraient hésiter [à lui accorder l’aide médicale à mourir] puisqu’ils n’en savent pas assez sur la maladie », affirme pour sa part la Dre Chantal Perrot, coprésidente du conseil consultatif de cliniciens
de l’organisme Mourir dans la dignité Canada.
La souffrance constante due à la maladie n’a pas motivé à elle seule la décision de Tracey Thompson de se tourner vers l’aide médicale à mourir. « Mon histoire ne concerne pas seulement la COVID longue durée : elle concerne aussi ce qui arrive aux gens pauvres qui ont un handicap », explique la Torontoise. Sans revenu depuis deux ans, elle se voit mal finir sa vie sans domicile fixe. Même le soutien mensuel de 1169 $, variable selon les situations et pas automatique pour la COVID longue durée, du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées ne serait pas « viable », dit-elle.
Le professeur de l’Université de Toronto Trudo Lemmens, spécialiste en droit de la santé, s’insurge contre la situation dans laquelle se trouve Mme Thompson. « On permet l’aide médicale à mourir à des gens qui n’approchent pas de leur mort, mais qui ont des souffrances liées à la pauvreté », déplore-t-il, en faisant référence à la nouvelle mouture de la loi. En mars 2021, le gouvernement fédéral a éliminé l’exigence selon laquelle la mort naturelle devait être raisonnablement prévisible.
pourrait offrir l’une des premières pistes de réponse.
Tracey Thompson ne se doutait pas qu’elle aurait encore des symptômes de la COVID-19 en 2022 lorsqu’elle l’a contractée une première fois en mars 2020, avant les vaccins et quand on en savait peu sur la maladie. Ses premiers symptômes étaient bénins, raconte-t-elle au bout du fil : « Je n’ai pas eu besoin d’être hospitalisée, mais ma situation ne s’est jamais améliorée. »
Ces temps-ci, la Torontoise passe souvent ses journées au lit. « Ma mémoire n’est pas bonne ; je suis sensible aux écrans ; j’ai de la difficulté à lire ; certains jours, j’ai de la difficulté à écouter », énumère-t-elle. « Ma fréquence cardiaque est aussi souvent élevée. » Quand elle en a parlé pour la première fois à des experts, on lui a demandé si elle cachait un problème de consommation :
« C’était épeurant et décourageant », confie-t-elle.
En raison des effets de la COVID longue durée, elle ne travaille plus depuis plus de deux ans, un facteur important dans sa décision de demander l’aide médicale à mourir. À lui seul, cet élément rend son cas complexe — voire troublant —, selon des experts consultés par Le Devoir. Mais la condition même de Tracey Thompson l’est tout autant.
Des recherches sont en cours, au Canada et ailleurs dans le monde, pour que l’on comprenne
mieux la COVID longue durée et les possibilités de rétablissement.
D’après le médecin torontois Kieran Quinn, qui s’intéresse au syndrome post-COVID, l’argumentaire de Tracey Thompson pour recourir à l’aide médicale à mourir repose surtout sur le critère du « problème de santé grave et irrémédiable » et l’un de ses sous-critères, soit que la personne ait un « état de déclin avancé » et irréversible. La COVID longue durée n’est toutefois vieille que de deux ans, et il est peut-être trop tôt pour en arriver à la conclusion que la maladie est « irrémédiable », prévient-il. Mais la décision dépendra au bout du compte
de l’évaluation faite par les spécialistes consultés par la Torontoise.
La professeure de l’Université Western Grace Parraga, qui étudie elle aussi la maladie, est du même avis. La situation des personnes souffrant de la COVID longue durée est « terrible », se désole-t-elle, mais il y a un « rayon d’espoir ». « Nous avons des données, non publiées et pas encore révisées par des pairs, qui démontrent un certain rétablissement », dit-elle.
« Certains médecins consultés par la patiente pourraient hésiter [à lui accorder l’aide médicale à mourir] puisqu’ils n’en savent pas assez sur la maladie », affirme pour sa part la Dre Chantal Perrot, coprésidente du conseil consultatif de cliniciens
de l’organisme Mourir dans la dignité Canada.
La souffrance constante due à la maladie n’a pas motivé à elle seule la décision de Tracey Thompson de se tourner vers l’aide médicale à mourir. « Mon histoire ne concerne pas seulement la COVID longue durée : elle concerne aussi ce qui arrive aux gens pauvres qui ont un handicap », explique la Torontoise. Sans revenu depuis deux ans, elle se voit mal finir sa vie sans domicile fixe. Même le soutien mensuel de 1169 $, variable selon les situations et pas automatique pour la COVID longue durée, du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées ne serait pas « viable », dit-elle.
Le professeur de l’Université de Toronto Trudo Lemmens, spécialiste en droit de la santé, s’insurge contre la situation dans laquelle se trouve Mme Thompson. « On permet l’aide médicale à mourir à des gens qui n’approchent pas de leur mort, mais qui ont des souffrances liées à la pauvreté », déplore-t-il, en faisant référence à la nouvelle mouture de la loi. En mars 2021, le gouvernement fédéral a éliminé l’exigence selon laquelle la mort naturelle devait être raisonnablement prévisible.
« C’est signe d’un système à la dérive. Je trouve que c’est une honte pour notre société », affirme le professeur Lemmens. Devant un comité parlementaire, en juin 2021, il avait d’ailleurs accusé le fédéral d’avoir « mis la charrue devant les boeufs » en élargissant la loi avant même d’en avoir fait une évaluation étoffée. L’aide médicale à mourir devrait être élargie de nouveau en 2023 : les personnes souffrant de problèmes de santé mentale pourront y avoir accès.
M. Lemmens demande d’ailleurs une commission d’enquête qui analyserait les « dérapages » de la loi, comme dans le cas, selon lui, de Mme Thompson. D’ailleurs, la rapidité avec laquelle la loi est élargie « viole profondément le principe de précaution dans le développement des politiques de santé », croit-il.
Une personne ne peut être admissible à l’aide médicale à mourir simplement parce qu’elle a des problèmes financiers, nuance la Dre Chantal Perrot. Mais la médecin concède que ces facteurs peuvent contribuer à la souffrance, ce que l’évaluateur ne peut ignorer, note-t-elle.
Encore de l’espoirTracey Thompson a soumis une première demande d’évaluation à un médecin il y a un mois et attend encore une réponse. Deux experts — dont un spécialiste de la COVID longue durée — devront donner leur feu vert. Le processus prend au minimum trois mois.
Entre-temps, la Torontoise a encore espoir qu’on trouve un remède. « Si quelqu’un me disait demain “Essaie ce médicament”, je serais ravie de le faire », dit-elle. Conformément à la loi, les spécialistes doivent lui proposer des options de rétablissement, mais elle peut les refuser.
Le ministère de la Santé dit ne pas avoir été informé d'autres demandes d'AMM de patients souffrants de la COVID longue. Il pourrait donc s'agir de l'une des toutes premières demandes d'aide médicale à mourir liée à la COVID longue durée.
De son côté, le Dr Kieran Quinn, qui travaille dans deux hôpitaux de Toronto, s’inquiète de voir des cas semblables à celui de Tracey Thompson se multiplier : « Je ne sais pas quelle est la solution », admet-il. « Il faut se demander pourquoi des professionnels de la santé mettent fin à la vie de patients en raison de la pauvreté », lance pour sa part le professeur Lemmens.
M. Lemmens demande d’ailleurs une commission d’enquête qui analyserait les « dérapages » de la loi, comme dans le cas, selon lui, de Mme Thompson. D’ailleurs, la rapidité avec laquelle la loi est élargie « viole profondément le principe de précaution dans le développement des politiques de santé », croit-il.
Une personne ne peut être admissible à l’aide médicale à mourir simplement parce qu’elle a des problèmes financiers, nuance la Dre Chantal Perrot. Mais la médecin concède que ces facteurs peuvent contribuer à la souffrance, ce que l’évaluateur ne peut ignorer, note-t-elle.
Encore de l’espoirTracey Thompson a soumis une première demande d’évaluation à un médecin il y a un mois et attend encore une réponse. Deux experts — dont un spécialiste de la COVID longue durée — devront donner leur feu vert. Le processus prend au minimum trois mois.
Entre-temps, la Torontoise a encore espoir qu’on trouve un remède. « Si quelqu’un me disait demain “Essaie ce médicament”, je serais ravie de le faire », dit-elle. Conformément à la loi, les spécialistes doivent lui proposer des options de rétablissement, mais elle peut les refuser.
Le ministère de la Santé dit ne pas avoir été informé d'autres demandes d'AMM de patients souffrants de la COVID longue. Il pourrait donc s'agir de l'une des toutes premières demandes d'aide médicale à mourir liée à la COVID longue durée.
De son côté, le Dr Kieran Quinn, qui travaille dans deux hôpitaux de Toronto, s’inquiète de voir des cas semblables à celui de Tracey Thompson se multiplier : « Je ne sais pas quelle est la solution », admet-il. « Il faut se demander pourquoi des professionnels de la santé mettent fin à la vie de patients en raison de la pauvreté », lance pour sa part le professeur Lemmens.