L’écriture inclusive reste minoritaire
sur les campus
L’écriture inclusive progresse à pas de tortue dans le milieu universitaire. Cette langue féministe et non binaire reste marginale dans les publications savantes, qui peinent à s’y retrouver devant le foisonnement des méthodes de rédaction inclusive.
Ce n’est pas demain la veille que les « auteurices », les « chercheur·euse·s » et les « étudiant/es » devront obligatoirement rédiger leurs articles en langue inclusive. Des témoignages recueillis par Le Devoir révèlent que cette forme de rédaction
reste peu fréquente dans les revues universitaires.
Si l’écriture inclusive « reste une pratique d’écriture minoritaire, son usage progresse et fait l’objet de débats, voire de controverses », note une récente étude française sur la question.
Les responsables de l’enquête (Olivia Samuel et François Théron, de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, et Marie Loison-Leruste, de la Sorbonne Paris Nord) ont comparé les politiques éditoriales de 64 revues francophones en sciences sociales. À peine trois publications exigent l’écriture inclusive, sept refusent au contraire ce type d’écriture, et 52 acceptent une forme ou l’autre d’écriture inclusive — « parfois très limitée à quelques termes ou expressions ». Deux autres revues étudiées n’avaient pas de politique à ce sujet.
Ce n’est pas demain la veille que les « auteurices », les « chercheur·euse·s » et les « étudiant/es » devront obligatoirement rédiger leurs articles en langue inclusive. Des témoignages recueillis par Le Devoir révèlent que cette forme de rédaction
reste peu fréquente dans les revues universitaires.
Si l’écriture inclusive « reste une pratique d’écriture minoritaire, son usage progresse et fait l’objet de débats, voire de controverses », note une récente étude française sur la question.
Les responsables de l’enquête (Olivia Samuel et François Théron, de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, et Marie Loison-Leruste, de la Sorbonne Paris Nord) ont comparé les politiques éditoriales de 64 revues francophones en sciences sociales. À peine trois publications exigent l’écriture inclusive, sept refusent au contraire ce type d’écriture, et 52 acceptent une forme ou l’autre d’écriture inclusive — « parfois très limitée à quelques termes ou expressions ». Deux autres revues étudiées n’avaient pas de politique à ce sujet.
Certains éditeurs de revues savantes considèrent l’écriture inclusive comme un boulet qui leur complique la tâche
et qui alourdit les textes, déjà complexes, souligne l’étude.
Période de transition
L’écriture inclusive reste un phénomène si récent qu’il n’y a pas de consensus sur les formes de rédaction à privilégier, explique Alexandra Dupuy, étudiante au doctorat en linguistique à l’Université de Montréal. Dans ce grand bouillonnement politico-linguistique, une série de méthodes inclusives sont mises en avant : féminin générique, écriture épicène, point médian, parenthèses…
« On est aux balbutiements de l’écriture inclusive. C’est peut-être un changement qui est en cours. Va-t-il rester ou pas ? Il faudra observer ça à travers le temps pour pouvoir le dire », explique Alexandra Dupuy.
La linguiste note par exemple que le mot « autrice », qui provoquait des débats déchirants jusqu’à récemment,
semble entrer dans l’usage au Québec.
L’écriture inclusive est loin de faire l’unanimité, même dans les milieux universitaires progressistes. Ainsi, Alexandra Dupuy n’a pas été autorisée à rédiger en langue inclusive son projet de fin de baccalauréat, qui portait pourtant sur la féminisation de l’écriture.
Marc-Antoine Picotte, étudiant au doctorat en droit civil à l’Université d’Ottawa, a vécu une expérience similaire : une revue savante l’a approché pour publier son mémoire de maîtrise (qui lui avait valu une mention du jury), mais à la condition qu’il renonce à la rédaction au féminin générique du texte original.
« C’est surprenant qu’on n’ait pas davantage progressé en matière d’écriture inclusive. J’ai l’impression qu’on est dans une période transitoire qui pourrait être nécessaire pour repenser la langue », dit Marc-Antoine Picotte. Il se décrit comme un « allié » des femmes et des personnes non binaires qui revendiquent une langue sans sexisme.
« Dans nos cours de droit, on nous enseigne à être le plus précis possible. La langue est notre matière première. On a avantage à utiliser une langue qui reconnaît la présence des femmes et des personnes non binaires », soutient le doctorant en droit.
« Politisation sexiste »
Michaël Lessard, avocat et étudiant au doctorat en droit à l’Université de Toronto, va encore plus loin : « L’emploi du masculin générique ne se justifie plus aujourd’hui », affirme-t-il sans détour.
Avec sa collègue Suzanne Zaccour, de l’Université d’Oxford, il a rédigé une Grammaire non sexiste de la langue française et un article récent qui démolit les « mythes » entourant l’écriture inclusive.
« Les règles de genre en français ont une motivation et une histoire patriarcales. Il y a donc une belle ironie à accuser les personnes qui adoptent des méthodes de rédaction inclusive de “dénaturer” le français ou de “politiser la langue ! C’est au contraire pour répondre à la politisation sexiste de la langue que nous invitons chacun·e — juristes compris·es — à se refuser d’effacer les femmes et les personnes non binaires », écrivent Lessard et Zaccour.
La façon de rédiger les lois peut nuire aux droits de certains citoyens, rappellent les juristes. Jusqu’au siècle dernier, les juges interprétaient de façon variable le mot « personne », qui pouvait exclure les femmes lorsqu’il était question
de l’accès à certaines professions et même au droit de vote.
De nos jours, tous les tribunaux, même la Cour suprême du Canada, utilisent des formes d’écriture inclusive, souligne Michaël Lessard. Le mot « autrice » a ainsi été employé par la Cour suprême, la Cour d’appel du Québec, la Cour supérieure du Québec,
la Cour fédérale et la Cour du Québec.
Un jugement de la Cour suprême a évoqué « les facteurs et les factrices ». D’autres ont recouru au féminin générique, au point médian (étudiant·e), à la barre oblique (étudiant/e), à la rédaction épicène (la « population étudiante » plutôt que « les étudiantes et les étudiants »).
Marie-Christine Paret, professeure retraitée de linguistique de l’Université de Montréal, estime que la féminisation des titres va de soi, de même que les formules épicènes.
Elle dénonce néanmoins des dérives qu’elle attribue aux « extrémistes ». « Les mots formés avec des tirets, des points médians ou des parenthèses ne sont pas prononçables. Les jeunes ont déjà beaucoup de difficultés en lecture. C’est inconcevable de les obliger à lire des textes pareils. Ça ne tient pas debout. La langue évolue avec la pratique. Vous imaginez la pratique de ce genre de chose ?
Je pense que ça n’a pas d’avenir. »
et qui alourdit les textes, déjà complexes, souligne l’étude.
Période de transition
L’écriture inclusive reste un phénomène si récent qu’il n’y a pas de consensus sur les formes de rédaction à privilégier, explique Alexandra Dupuy, étudiante au doctorat en linguistique à l’Université de Montréal. Dans ce grand bouillonnement politico-linguistique, une série de méthodes inclusives sont mises en avant : féminin générique, écriture épicène, point médian, parenthèses…
« On est aux balbutiements de l’écriture inclusive. C’est peut-être un changement qui est en cours. Va-t-il rester ou pas ? Il faudra observer ça à travers le temps pour pouvoir le dire », explique Alexandra Dupuy.
La linguiste note par exemple que le mot « autrice », qui provoquait des débats déchirants jusqu’à récemment,
semble entrer dans l’usage au Québec.
L’écriture inclusive est loin de faire l’unanimité, même dans les milieux universitaires progressistes. Ainsi, Alexandra Dupuy n’a pas été autorisée à rédiger en langue inclusive son projet de fin de baccalauréat, qui portait pourtant sur la féminisation de l’écriture.
Marc-Antoine Picotte, étudiant au doctorat en droit civil à l’Université d’Ottawa, a vécu une expérience similaire : une revue savante l’a approché pour publier son mémoire de maîtrise (qui lui avait valu une mention du jury), mais à la condition qu’il renonce à la rédaction au féminin générique du texte original.
« C’est surprenant qu’on n’ait pas davantage progressé en matière d’écriture inclusive. J’ai l’impression qu’on est dans une période transitoire qui pourrait être nécessaire pour repenser la langue », dit Marc-Antoine Picotte. Il se décrit comme un « allié » des femmes et des personnes non binaires qui revendiquent une langue sans sexisme.
« Dans nos cours de droit, on nous enseigne à être le plus précis possible. La langue est notre matière première. On a avantage à utiliser une langue qui reconnaît la présence des femmes et des personnes non binaires », soutient le doctorant en droit.
« Politisation sexiste »
Michaël Lessard, avocat et étudiant au doctorat en droit à l’Université de Toronto, va encore plus loin : « L’emploi du masculin générique ne se justifie plus aujourd’hui », affirme-t-il sans détour.
Avec sa collègue Suzanne Zaccour, de l’Université d’Oxford, il a rédigé une Grammaire non sexiste de la langue française et un article récent qui démolit les « mythes » entourant l’écriture inclusive.
« Les règles de genre en français ont une motivation et une histoire patriarcales. Il y a donc une belle ironie à accuser les personnes qui adoptent des méthodes de rédaction inclusive de “dénaturer” le français ou de “politiser la langue ! C’est au contraire pour répondre à la politisation sexiste de la langue que nous invitons chacun·e — juristes compris·es — à se refuser d’effacer les femmes et les personnes non binaires », écrivent Lessard et Zaccour.
La façon de rédiger les lois peut nuire aux droits de certains citoyens, rappellent les juristes. Jusqu’au siècle dernier, les juges interprétaient de façon variable le mot « personne », qui pouvait exclure les femmes lorsqu’il était question
de l’accès à certaines professions et même au droit de vote.
De nos jours, tous les tribunaux, même la Cour suprême du Canada, utilisent des formes d’écriture inclusive, souligne Michaël Lessard. Le mot « autrice » a ainsi été employé par la Cour suprême, la Cour d’appel du Québec, la Cour supérieure du Québec,
la Cour fédérale et la Cour du Québec.
Un jugement de la Cour suprême a évoqué « les facteurs et les factrices ». D’autres ont recouru au féminin générique, au point médian (étudiant·e), à la barre oblique (étudiant/e), à la rédaction épicène (la « population étudiante » plutôt que « les étudiantes et les étudiants »).
Marie-Christine Paret, professeure retraitée de linguistique de l’Université de Montréal, estime que la féminisation des titres va de soi, de même que les formules épicènes.
Elle dénonce néanmoins des dérives qu’elle attribue aux « extrémistes ». « Les mots formés avec des tirets, des points médians ou des parenthèses ne sont pas prononçables. Les jeunes ont déjà beaucoup de difficultés en lecture. C’est inconcevable de les obliger à lire des textes pareils. Ça ne tient pas debout. La langue évolue avec la pratique. Vous imaginez la pratique de ce genre de chose ?
Je pense que ça n’a pas d’avenir. »
LE DEVOIR
Marco Fortier
https://www.ledevoir.com/societe/education/683571/l-ecriture-inclusive-reste-minoritaire-sur-les-campus?utm_source=infolettre-2022-03-09&utm_medium=email&utm_campaign=infolettre-quotidienne
Marco Fortier
https://www.ledevoir.com/societe/education/683571/l-ecriture-inclusive-reste-minoritaire-sur-les-campus?utm_source=infolettre-2022-03-09&utm_medium=email&utm_campaign=infolettre-quotidienne