L’éducation à la sexualité divise en Europe
Ça jouait dur mercredi dans les rues des grandes villes canadiennes et québécoises autour de l’éducation à la sexualité. Pourtant, par rapport à la Belgique, ces manifestations ressemblent à d’anodines chicanes de cour de récré.
Il y a une dizaine de jours, des incendies criminels ont été allumés dans quatre établissements de niveau maternel et primaire de la région de Charleroi et dans deux écoles de Liège. Deux autres ont été vandalisées. Des tags ont rajouté des avertissements et expliqué l’affront : « No EVRAS, sinon les prochains, c’est vous. »
Ce sigle désigne l’Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle, le nom du nouveau programme adopté à la quasi-unanimité par le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles quelques heures avant les attaques. Le cours prévoit deux modestes heures par année consacrées à diverses questions liées à la sexualité dispensées par des intervenants extérieurs agréés à l’intention des élèves de la fin du primaire et de la fin du secondaire. La formation obligatoire depuis 2012 n’était pas systématique
jusqu’ici, faute de moyens maintenant renforcés.
David Paternotte, qui codirige la Structure de recherche interdisciplinaire sur le genre, l’égalité et la sexualité (STRIGES) de la Maison des sciences humaines de l’Université libre de Bruxelles, n’est pas surpris par ces manifestations. Il cite des précédents. En France, après La Manif pour tous (2013) contre le mariage pour tous, une campagne de désinformation a noirci complètement les objectifs d’un programme scolaire pour parler de promotion de la pédophilie.
Des manifs anti-LGBTQ+ ont été organisées autour des écoles de Birmingham, en Grande-Bretagne, en 2019. La Russie et la Hongrie utilisent l’homosexualité comme repoussoir de l’Occident. Faut-il vraiment rappeler la politisation de la question du genre dans les écoles et autour de celles-ci aux États-Unis ?
« Ces sujets reviennent de manière récurrente, dit M. Paternotte. Mais ce qui est particulier en Belgique et unique au monde, c’est le recours au terrorisme politique. Des actes aussi violents, on n’a jamais vu ça. Cela dit,
on ne sait pas qui est derrière les incendies et les actes de vandalisme. »
Les participants aux manifestations belges et canadiennes des derniers jours donnent aussi à voir de la nouveauté. Certains chrétiens conservateurs ont toujours été contre les cours traitant de sexualité. Le Vatican a stimulé cette position en inventant le discours sur l’idéologie du genre au milieu des années 1990 en réponse à la reconnaissance des droits sexuels et reproductifs par l’ONU. Seulement, les catholiques de stricte obédience se retrouvent maintenant avec des musulmans traditionalistes et des groupes complotistes.
« Ça fait un mélange assez curieux et assez nouveau », dit M. Paternotte, en notant que les liens entre ces branches sont encore mal connus. À la manifestation de dimanche dernier à Bruxelles, une instigatrice de la manif, la femme voilée Radya Oulebsir, Franco-Algérienne résidente de Belgique, a vilipendé « les ultraféministes » et « le lobby LGBT ». Le président belge de l’organisation d’extrême droite Civitas a enchaîné pour dénoncer une volonté prétendue d’imposer « un projet mondialisé » voulant instaurer « un nouvel ordre sexuel ».
Familles, je vous déchaîne La coalition anti-éducation à la sexualité se soude autour du thème des élites qui imposent leurs valeurs et d’une certaine vision des choses dites naturelles à ne pas perturber. La cause semble aussi manifestement lier des adversaires de l’intervention de l’État dans les affaires privées et la vie des familles en particulier.
« Il faut réfléchir à ce que disent ces résistances, dit Nicolas Sallée, professeur de sociologie à l’Université de Montréal. Fondamentalement, elles visent l’idée que l’éducation des enfants, et en particulier au genre et à la sexualité, échappe à la famille et au projet que les parents construisent pour leurs enfants. »
Les résistants s’inquiètent de savoir ce qui va rester entre les mains de la famille et ce qui va lui échapper. « On peut dire que ces réactions sont donc conservatrices, au sens large du terme. Elles dénoncent une fragilisation du monopole de la famille dans la fabrication des identités de genre et de la sexualité. »
On peut dire que ces réactions sont donc conservatrices, au sens large du terme. Elles dénoncent une fragilisation du monopole de la famille dans la fabrication des identités de genre et de la sexualité.
— Nicolas SalléeLe professeur Sallée étudie en ce moment les réactions sociales, cliniques et parentales, en France et au Québec, aux différentes formes de non-conformité de genre chez les enfants. Il mentionne que les racines profondes de la position socio-morale contre l’éducation sexuelle à l’école sont traditionnellement portées par la religion, évidemment, mais aussi par une partie de la médecine. La psychiatrie a longtemps pathologisé les formes d’identité jugées non conformes. L’homosexualité a été classifiée comme maladie mentale jusqu’au milieu des années 1970. La pathologisation des identités trans est de plus en plus contestée depuis le début des années 2000, mais elle est encore loin d’avoir totalement disparu.
« L’intensité actuelle des résistances constitue une sorte de miroir d’une ouverture sociale croissante sur ces questions, notamment de la montée d’une expertise en médecine, en sexologie, en travail social, dit le professeur. Les données scientifiques montrent que le fait d’accompagner les enfants dans leur exploration de soi accroît leur bien-être et diminue les risques pour leur santé. »
L’antiwokisme y trouve aussi de quoi moudre en alliances conjoncturelles. Des partis politiques comme des médias de droite appuient les critiques de la théorie du genre pour dénigrer la gauche dite radicale, dit le sociologue montréalais. On lui reproche alors d’être à la solde d’un communautarisme déstructurant les identités traditionnelles, l’universalisme républicain par exemple.
« Il faut déconstruire l’image de la famille idéalisée, dit encore le professeur. L’amour des parents pour les enfants peut tout de même bloquer les bonnes décisions dans leur intérêt. Il faut aussi déconstruire la panique morale autour de la sexualité des jeunes. Il y a quelques années, on paniquait autour de l’hypersexualisation supposée des jeunes filles alors que, pour ne prendre qu’un exemple, l’âge des premiers rapports sexuels est resté plus stable qu’on le croit, souvent depuis les années 1960. »
Il y a une dizaine de jours, des incendies criminels ont été allumés dans quatre établissements de niveau maternel et primaire de la région de Charleroi et dans deux écoles de Liège. Deux autres ont été vandalisées. Des tags ont rajouté des avertissements et expliqué l’affront : « No EVRAS, sinon les prochains, c’est vous. »
Ce sigle désigne l’Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle, le nom du nouveau programme adopté à la quasi-unanimité par le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles quelques heures avant les attaques. Le cours prévoit deux modestes heures par année consacrées à diverses questions liées à la sexualité dispensées par des intervenants extérieurs agréés à l’intention des élèves de la fin du primaire et de la fin du secondaire. La formation obligatoire depuis 2012 n’était pas systématique
jusqu’ici, faute de moyens maintenant renforcés.
David Paternotte, qui codirige la Structure de recherche interdisciplinaire sur le genre, l’égalité et la sexualité (STRIGES) de la Maison des sciences humaines de l’Université libre de Bruxelles, n’est pas surpris par ces manifestations. Il cite des précédents. En France, après La Manif pour tous (2013) contre le mariage pour tous, une campagne de désinformation a noirci complètement les objectifs d’un programme scolaire pour parler de promotion de la pédophilie.
Des manifs anti-LGBTQ+ ont été organisées autour des écoles de Birmingham, en Grande-Bretagne, en 2019. La Russie et la Hongrie utilisent l’homosexualité comme repoussoir de l’Occident. Faut-il vraiment rappeler la politisation de la question du genre dans les écoles et autour de celles-ci aux États-Unis ?
« Ces sujets reviennent de manière récurrente, dit M. Paternotte. Mais ce qui est particulier en Belgique et unique au monde, c’est le recours au terrorisme politique. Des actes aussi violents, on n’a jamais vu ça. Cela dit,
on ne sait pas qui est derrière les incendies et les actes de vandalisme. »
Les participants aux manifestations belges et canadiennes des derniers jours donnent aussi à voir de la nouveauté. Certains chrétiens conservateurs ont toujours été contre les cours traitant de sexualité. Le Vatican a stimulé cette position en inventant le discours sur l’idéologie du genre au milieu des années 1990 en réponse à la reconnaissance des droits sexuels et reproductifs par l’ONU. Seulement, les catholiques de stricte obédience se retrouvent maintenant avec des musulmans traditionalistes et des groupes complotistes.
« Ça fait un mélange assez curieux et assez nouveau », dit M. Paternotte, en notant que les liens entre ces branches sont encore mal connus. À la manifestation de dimanche dernier à Bruxelles, une instigatrice de la manif, la femme voilée Radya Oulebsir, Franco-Algérienne résidente de Belgique, a vilipendé « les ultraféministes » et « le lobby LGBT ». Le président belge de l’organisation d’extrême droite Civitas a enchaîné pour dénoncer une volonté prétendue d’imposer « un projet mondialisé » voulant instaurer « un nouvel ordre sexuel ».
Familles, je vous déchaîne La coalition anti-éducation à la sexualité se soude autour du thème des élites qui imposent leurs valeurs et d’une certaine vision des choses dites naturelles à ne pas perturber. La cause semble aussi manifestement lier des adversaires de l’intervention de l’État dans les affaires privées et la vie des familles en particulier.
« Il faut réfléchir à ce que disent ces résistances, dit Nicolas Sallée, professeur de sociologie à l’Université de Montréal. Fondamentalement, elles visent l’idée que l’éducation des enfants, et en particulier au genre et à la sexualité, échappe à la famille et au projet que les parents construisent pour leurs enfants. »
Les résistants s’inquiètent de savoir ce qui va rester entre les mains de la famille et ce qui va lui échapper. « On peut dire que ces réactions sont donc conservatrices, au sens large du terme. Elles dénoncent une fragilisation du monopole de la famille dans la fabrication des identités de genre et de la sexualité. »
On peut dire que ces réactions sont donc conservatrices, au sens large du terme. Elles dénoncent une fragilisation du monopole de la famille dans la fabrication des identités de genre et de la sexualité.
— Nicolas SalléeLe professeur Sallée étudie en ce moment les réactions sociales, cliniques et parentales, en France et au Québec, aux différentes formes de non-conformité de genre chez les enfants. Il mentionne que les racines profondes de la position socio-morale contre l’éducation sexuelle à l’école sont traditionnellement portées par la religion, évidemment, mais aussi par une partie de la médecine. La psychiatrie a longtemps pathologisé les formes d’identité jugées non conformes. L’homosexualité a été classifiée comme maladie mentale jusqu’au milieu des années 1970. La pathologisation des identités trans est de plus en plus contestée depuis le début des années 2000, mais elle est encore loin d’avoir totalement disparu.
« L’intensité actuelle des résistances constitue une sorte de miroir d’une ouverture sociale croissante sur ces questions, notamment de la montée d’une expertise en médecine, en sexologie, en travail social, dit le professeur. Les données scientifiques montrent que le fait d’accompagner les enfants dans leur exploration de soi accroît leur bien-être et diminue les risques pour leur santé. »
L’antiwokisme y trouve aussi de quoi moudre en alliances conjoncturelles. Des partis politiques comme des médias de droite appuient les critiques de la théorie du genre pour dénigrer la gauche dite radicale, dit le sociologue montréalais. On lui reproche alors d’être à la solde d’un communautarisme déstructurant les identités traditionnelles, l’universalisme républicain par exemple.
« Il faut déconstruire l’image de la famille idéalisée, dit encore le professeur. L’amour des parents pour les enfants peut tout de même bloquer les bonnes décisions dans leur intérêt. Il faut aussi déconstruire la panique morale autour de la sexualité des jeunes. Il y a quelques années, on paniquait autour de l’hypersexualisation supposée des jeunes filles alors que, pour ne prendre qu’un exemple, l’âge des premiers rapports sexuels est resté plus stable qu’on le croit, souvent depuis les années 1960. »