Des cas de plus en plus violents
devant les tribunaux
Kevin Ayala Tafur risque 50 mois de prison pour avoir forcé une jeune femme à se prostituer. Il était de passage en cour la semaine dernière.
Des cas « extrêmes » de proxénétisme se retrouvent en grand nombre devant la justice québécoise, a pu constater La Presse.
« Le niveau de violence semble augmenter », observe une procureure spécialisée dans les crimes sexuels.
À 19 ans, Clémence* était devenue la « propriété » de son proxénète. Coups de poing, gifles, étranglement : la violence d’Alstin Jamal Sargeant n’avait pas de limites. Il a même uriné sur la jeune femme, puis l’a forcée à s’insérer un manche à balai dans le vagin. De tels récits à la limite du supportable sont de plus en plus fréquents devant les tribunaux, alors que la lutte contre le proxénétisme s’intensifie au Québec.
« [Le] niveau de violence semble augmenter », observe Me Brenda Toucado, procureure de la Couronne spécialisée dans les crimes sexuels au palais de justice de Laval. « Un proxénète va vouloir asseoir sa domination auprès de sa victime. Il va user de violence physique, va intimider et va même jusqu’à agresser sexuellement la victime. C’est le genre de profil qu’on voit de plus en plus », ajoute-t-elle.
Plus de 400 accusations ont été déposées en 2019 en matière de proxénétisme et de traite de personnes au Québec, selon des données du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP). C’est quatre fois plus qu’en 2015. Les procès – longs et complexes – se font ainsi plus nombreux dans la province, tout comme les dossiers d’une rare violence. En quelques mois seulement,
La Presse a pu le constater au palais de justice de Montréal.
Non seulement Cleephord Linecker Losse a forcé Martine* à « faire » de trois à cinq clients par jour pendant un an, mais il l’a battue à répétition et l’a obligée à avoir des relations anales pour montrer qu’il était le « patron ». Désespérée, sa victime a tenté de se suicider pour échapper à ce cauchemar. Son tortionnaire l’a alors « aidée » en lui insérant de force des comprimés de speed dans la gorge.
« Le niveau de violence semble augmenter », observe une procureure spécialisée dans les crimes sexuels.
À 19 ans, Clémence* était devenue la « propriété » de son proxénète. Coups de poing, gifles, étranglement : la violence d’Alstin Jamal Sargeant n’avait pas de limites. Il a même uriné sur la jeune femme, puis l’a forcée à s’insérer un manche à balai dans le vagin. De tels récits à la limite du supportable sont de plus en plus fréquents devant les tribunaux, alors que la lutte contre le proxénétisme s’intensifie au Québec.
« [Le] niveau de violence semble augmenter », observe Me Brenda Toucado, procureure de la Couronne spécialisée dans les crimes sexuels au palais de justice de Laval. « Un proxénète va vouloir asseoir sa domination auprès de sa victime. Il va user de violence physique, va intimider et va même jusqu’à agresser sexuellement la victime. C’est le genre de profil qu’on voit de plus en plus », ajoute-t-elle.
Plus de 400 accusations ont été déposées en 2019 en matière de proxénétisme et de traite de personnes au Québec, selon des données du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP). C’est quatre fois plus qu’en 2015. Les procès – longs et complexes – se font ainsi plus nombreux dans la province, tout comme les dossiers d’une rare violence. En quelques mois seulement,
La Presse a pu le constater au palais de justice de Montréal.
Non seulement Cleephord Linecker Losse a forcé Martine* à « faire » de trois à cinq clients par jour pendant un an, mais il l’a battue à répétition et l’a obligée à avoir des relations anales pour montrer qu’il était le « patron ». Désespérée, sa victime a tenté de se suicider pour échapper à ce cauchemar. Son tortionnaire l’a alors « aidée » en lui insérant de force des comprimés de speed dans la gorge.
Valérie* a été « conditionnée » à croire qu’elle était l’objet de son bourreau. « Il était mon pimp, j’étais sa bitch », a-t-elle résumé au procès d’Antonio Dujorn Casanova, reconnu coupable de traite de personne en mars dernier. La Montréalaise de 19 ans a été asservie pendant deux ans par cet homme sans pitié qui lui a déjà mis un pistolet au visage en la menaçant.
Kevin Ayala Tafur a profité des « sentiments » de Karine* à son endroit pour l’amener à se prostituer pendant des mois partout au pays, en 2016. Par moments, la jeune femme n’avait pas un sou, même pour se nourrir. Son proxénète l’a déjà rouée de coups alors qu’elle dormait dans son appartement. Un épisode qui l’a poussée à le dénoncer. De passage en cour la semaine dernière,
le jeune homme risque 50 mois de détention.
L’« étape du dressage »
Ces cas « extrêmes » se retrouvent en grand nombre devant les tribunaux, d’abord parce que la société est « plus violente », mais parce qu’il est aussi « beaucoup, beaucoup plus facile » d’en faire la preuve en cour, contrairement aux cas de violence psychologique,
soutient la criminologue Maria Mourani.
Cette violence fait ainsi partie de l’« étape du dressage » de la victime, explique l’experte des questions de trafic humain. « C’est dresser la victime pour qu’elle prenne elle-même son rendez-vous [avec le client]. C’est une étape extrêmement violente.
La violence est continuelle », ajoute Maria Mourani.
Au Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) de Montréal, les intervenantes observent de la violence dans presque tous les dossiers d’exploitation sexuelle. « Malheureusement, il y a des cas beaucoup plus violents que les autres. Les proxénètes utilisent la terreur psychologique, sinon physique, sur des personnes victimisées pendant des mois, des années. La violence, c’est une forme de contrôle qu’ils utilisent beaucoup », souligne l’intervenante Andrea Rittenhouse.
N’empêche, certaines femmes vulnérables – et souvent très jeunes – ne réalisent pas qu’elles sont victimes d’exploitation sexuelle, explique Maria Mourani, présidente de Mourani-Criminologue. Ce sont d’ailleurs les cas les plus durs à prouver devant la justice,
puisque la victime elle-même croit « travailler » pour le couple.
Kevin Ayala Tafur a profité des « sentiments » de Karine* à son endroit pour l’amener à se prostituer pendant des mois partout au pays, en 2016. Par moments, la jeune femme n’avait pas un sou, même pour se nourrir. Son proxénète l’a déjà rouée de coups alors qu’elle dormait dans son appartement. Un épisode qui l’a poussée à le dénoncer. De passage en cour la semaine dernière,
le jeune homme risque 50 mois de détention.
L’« étape du dressage »
Ces cas « extrêmes » se retrouvent en grand nombre devant les tribunaux, d’abord parce que la société est « plus violente », mais parce qu’il est aussi « beaucoup, beaucoup plus facile » d’en faire la preuve en cour, contrairement aux cas de violence psychologique,
soutient la criminologue Maria Mourani.
Cette violence fait ainsi partie de l’« étape du dressage » de la victime, explique l’experte des questions de trafic humain. « C’est dresser la victime pour qu’elle prenne elle-même son rendez-vous [avec le client]. C’est une étape extrêmement violente.
La violence est continuelle », ajoute Maria Mourani.
Au Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) de Montréal, les intervenantes observent de la violence dans presque tous les dossiers d’exploitation sexuelle. « Malheureusement, il y a des cas beaucoup plus violents que les autres. Les proxénètes utilisent la terreur psychologique, sinon physique, sur des personnes victimisées pendant des mois, des années. La violence, c’est une forme de contrôle qu’ils utilisent beaucoup », souligne l’intervenante Andrea Rittenhouse.
N’empêche, certaines femmes vulnérables – et souvent très jeunes – ne réalisent pas qu’elles sont victimes d’exploitation sexuelle, explique Maria Mourani, présidente de Mourani-Criminologue. Ce sont d’ailleurs les cas les plus durs à prouver devant la justice,
puisque la victime elle-même croit « travailler » pour le couple.
Les proxénètes ne sont pas des idiots, ils savent que pour entretenir la marchandise,
il faut l’aimer et lui faire croire qu’on a un avenir ensemble.
Maria Mourani, criminologue
Des condamnations deux fois sur troisEn annonçant 100 millions de dollars pour la lutte contre le proxénétisme et l’exploitation des mineurs à la mi-juin, le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, a révélé que le « taux de condamnation des proxénètes »
était de 66 % au Québec.
Selon des données du ministère de la Justice obtenues par La Presse, ce taux fluctue de 63 à 68 % depuis cinq ans en matière d’exploitation sexuelle. En ajoutant les accusations de pornographie juvénile à celles de proxénétisme, le nombre de causes ouvertes est passé de 469 en 2016-2017 à 654 en 2020-2021, une hausse d’environ 40 %.
Mais si le tiers des accusés de proxénétisme échappent à une condamnation, de nombreux agresseurs écopent de sévères peines de prison grâce au courage des victimes qui témoignent contre leur bourreau.
Alstin Jamal Sargeant, le proxénète de Clémence, a été condamné à cinq ans de détention pour proxénétisme le mois dernier. La juge a qualifié l’un des épisodes de violence de « hautement humiliant, dégradant et répréhensible ». Le bourreau de Martine, Cleephord Linecker Losse, a été déclaré coupable de traite de personne à la mi-juin et risque une peine imposante.
Toujours en liberté, le proxénète de Repentigny revient en cour ce vendredi.
Un témoignage crucial et éprouvant
Pour condamner un proxénète, le témoignage de la victime est crucial. Mais entre leur trauma et leur peur des représailles, beaucoup de femmes décident de jeter l’éponge. « Ce qui est le plus difficile, c’est vraiment le témoignage de la victime pour qu’elle se présente et veuille toujours témoigner », explique Me Toucado. Parfois, la victime reçoit un appel avant l’audience
pour la décourager de se présenter, relève la procureure.
Alstin Jamal Sargeant, le proxénète de Clémence, a été condamné à cinq ans de détention pour proxénétisme le mois dernier. La juge a qualifié l’un des épisodes de violence de « hautement humiliant, dégradant et répréhensible ». Le bourreau de Martine, Cleephord Linecker Losse, a été déclaré coupable de traite de personne à la mi-juin et risque une peine imposante.
Toujours en liberté, le proxénète de Repentigny revient en cour ce vendredi.
Un témoignage crucial et éprouvant
Pour condamner un proxénète, le témoignage de la victime est crucial. Mais entre leur trauma et leur peur des représailles, beaucoup de femmes décident de jeter l’éponge. « Ce qui est le plus difficile, c’est vraiment le témoignage de la victime pour qu’elle se présente et veuille toujours témoigner », explique Me Toucado. Parfois, la victime reçoit un appel avant l’audience
pour la décourager de se présenter, relève la procureure.
Me Brenda Toucado, procureure de la Couronne spécialisée dans les crimes sexuels
Ces menaces font partie des stratagèmes des proxénètes, observe aussi l’intervenante Andrea Rittenhouse.
On doit travailler pour [rassurer] ces femmes. La peur de ces hommes, c’est assez intense… Mais le SPVM est fort pour [rassurer] les femmes. Tout est mis en place pour que ça n’arrive pas.
Andrea Rittenhouse, intervenante au Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC)
« Faire la preuve de proxénétisme, et même parfois de traite, ce n’est pas évident. D’où l’importance d’avoir des procureurs qui vont suivre pas à pas des dossiers. Le travail des policiers et des procureurs est important pour aboutir à des condamnations.
Pas juste à des arrestations », analyse Maria Mourani.
Les équipes spécialisées du DPCP, des services policiers et du CAVAC travaillent ainsi d’arrache-pied pour soutenir les victimes, de la plainte jusqu’au dénouement judiciaire. « On offre un service de A à Z. Dès qu’elles portent plainte, le CAVAC est impliqué. On fait des accompagnements à la cour et on s’assure de répondre à leurs besoins immédiats », indique Andrea Rittenhouse.
Le système judiciaire fait preuve d’une plus grande souplesse dans les dernières années pour aider les victimes à témoigner le plus sereinement possible. La procureure Brenda Toucado note que les juges sont enclins à accepter les demandes de témoignages derrière un paravent ou à partir d’une autre salle d’audience.
« On utilise aussi le chien de soutien, qui peut enlever une certaine peur », cite Me Toucado. Selon elle, ces accommodements ont « un impact positif » pour rassurer les victimes et les « amener jusqu’au bout » du processus judiciaire.
Quand les victimes ont envie de tout lâcher en cours de route, les intervenantes leur rappellent leur motivation : « Par exemple : ‟Je veux dénoncer mon pimp pour telle raison” », illustre la criminologue Karine Mac Donald, coordonnatrice de projets au CAVAC de Montréal.
D’ailleurs, pour bien des femmes, l’objectif n’est pas nécessairement de condamner leur proxénète, mais d’être entendue et respectée par le tribunal. « C’est rare que la sentence soit leur but. Elles sont fières d’être allées jusqu’au bout », dit Andrea Rittenhouse.
Les dossiers de proxénétisme et de traite sont également pris plus au sérieux par la justice, observe Me Toucado. « De plus en plus, les tribunaux reconnaissent ce phénomène et ont tendance à imposer des peines plus sévères et à reconnaître que ce sont des crimes répugnants. C’est important. Il faut que les victimes dénoncent pour qu’on puisse faire en sorte que ces délinquants soient traduits devant la justice », analyse Me Toucado.
* Prénoms fictifs pour protéger l’identité des victimes
Besoin d’aide ? CAVAC : 1 866 532-2822 ou cavac.qc.ca
Ces menaces font partie des stratagèmes des proxénètes, observe aussi l’intervenante Andrea Rittenhouse.
On doit travailler pour [rassurer] ces femmes. La peur de ces hommes, c’est assez intense… Mais le SPVM est fort pour [rassurer] les femmes. Tout est mis en place pour que ça n’arrive pas.
Andrea Rittenhouse, intervenante au Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC)
« Faire la preuve de proxénétisme, et même parfois de traite, ce n’est pas évident. D’où l’importance d’avoir des procureurs qui vont suivre pas à pas des dossiers. Le travail des policiers et des procureurs est important pour aboutir à des condamnations.
Pas juste à des arrestations », analyse Maria Mourani.
Les équipes spécialisées du DPCP, des services policiers et du CAVAC travaillent ainsi d’arrache-pied pour soutenir les victimes, de la plainte jusqu’au dénouement judiciaire. « On offre un service de A à Z. Dès qu’elles portent plainte, le CAVAC est impliqué. On fait des accompagnements à la cour et on s’assure de répondre à leurs besoins immédiats », indique Andrea Rittenhouse.
Le système judiciaire fait preuve d’une plus grande souplesse dans les dernières années pour aider les victimes à témoigner le plus sereinement possible. La procureure Brenda Toucado note que les juges sont enclins à accepter les demandes de témoignages derrière un paravent ou à partir d’une autre salle d’audience.
« On utilise aussi le chien de soutien, qui peut enlever une certaine peur », cite Me Toucado. Selon elle, ces accommodements ont « un impact positif » pour rassurer les victimes et les « amener jusqu’au bout » du processus judiciaire.
Quand les victimes ont envie de tout lâcher en cours de route, les intervenantes leur rappellent leur motivation : « Par exemple : ‟Je veux dénoncer mon pimp pour telle raison” », illustre la criminologue Karine Mac Donald, coordonnatrice de projets au CAVAC de Montréal.
D’ailleurs, pour bien des femmes, l’objectif n’est pas nécessairement de condamner leur proxénète, mais d’être entendue et respectée par le tribunal. « C’est rare que la sentence soit leur but. Elles sont fières d’être allées jusqu’au bout », dit Andrea Rittenhouse.
Les dossiers de proxénétisme et de traite sont également pris plus au sérieux par la justice, observe Me Toucado. « De plus en plus, les tribunaux reconnaissent ce phénomène et ont tendance à imposer des peines plus sévères et à reconnaître que ce sont des crimes répugnants. C’est important. Il faut que les victimes dénoncent pour qu’on puisse faire en sorte que ces délinquants soient traduits devant la justice », analyse Me Toucado.
* Prénoms fictifs pour protéger l’identité des victimes
Besoin d’aide ? CAVAC : 1 866 532-2822 ou cavac.qc.ca
Louis-Samuel Perron
La Presse
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