Le Québec, bientôt une terre fertile pour les mères porteuses ?
Le gouvernement québécois s’apprête à légiférer sur le recours aux mères porteuses. Cette « industrie » – dixit le Conseil du statut de la femme – pourrait ainsi prendre de l’ampleur dans les prochaines années. Le Québec deviendra-t-il une destination de choix de la gestation pour autrui, à l’instar du reste du Canada ?
Venir chercher son bébé au Canada
Le Canada est aujourd’hui une destination prisée par les parents d’intention qui désirent avoir recours à une mère porteuse.
« Après six semaines dans ce merveilleux pays qu’est le Canada et après des adieux en larmes à notre incroyable mère porteuse et amie, l’heure est venue de rentrer à la maison, à Lisbonne, avec un nouveau membre dans notre famille, le plus beau des bagages à main. Canada, ton sens de la démocratie et de l’égalité te fait briller. Merci de nous avoir permis de réaliser notre rêve. »
C’est en ces mots sur Twitter – photo à l’appui – que le journaliste Mark Lowen (correspondant en Europe pour la BBC) et son conjoint ont annoncé leur retour au Portugal avec leur nouveau bébé, né au Canada d’une mère porteuse canadienne.
Pourquoi ont-ils choisi le Canada ? « Parce que nous aimons l’idée qu’une femme veuille faire cela par altruisme plutôt que pour un gain financier », répond M. Lowen à La Presse.
Mark Lowen, son conjoint et leur bébé
Combien sont-ils à faire le voyage au Canada pour venir y chercher le bébé conçu par une mère porteuse d’ici ? Combien de Canadiens ont eux-mêmes recours à une mère porteuse ? Impossible de le savoir, indique la Société canadienne de fertilité et d’andrologie.
Alana Cattapan, professeure adjointe à la Chaire canadienne de recherche sur la politique de la reproduction et chercheuse dans le domaine depuis une quinzaine d’années, a réussi à retrouver 180 Canadiennes ayant déjà été mères porteuses (dont 15 Québécoises) ; 40 % des femmes porteuses interrogées ont agi pour des parents d’intention de l’étranger, surtout de la France.
Il existe une dizaine d’agences au Canada qui mettent en relation les femmes porteuses et les parents d’intention, selon Mme Cattapan. Elles leur offrent ensuite une panoplie de services payants : recherche de gamètes (spermatozoïdes et ovules) et de cliniques de procréation assistée, références juridiques, gestion des remboursements des dépenses de la femme porteuse par les parents d’intention, etc.
Sébastien Trotignon est l’un de ces Français venus au Canada pour y trouver une femme porteuse. À trois ans d’écart, elle a porté les deux enfants de son conjoint et lui (à partir d’ovocytes provenant d’autres femmes), explique-t-il en entrevue téléphonique.
Sébastien Trotignon et son conjoint ont créé le site monbébéaucanada.com.
Désireux de faire part de leur expérience, ils ont créé le site monbébéaucanada.com. Ils y précisent qu’il faut prévoir en moyenne « entre 80 000 et 100 000 euros [entre 117 000 $ et 146 000 $] » pour une gestation pour autrui au Canada et donnent des noms d’agences.
« C’est une sacrée somme, mais c’est quand même plus d’un tiers de moins qu’aux États-Unis », peut-on lire sur le site monbébéaucanada.com.
« Grâce au Canada, nous avons pu réaliser ce rêve de fonder une famille », écrivent-ils sur leur site illustré entre autres d’un gamin vêtu d’un chandail rouge portant l’inscription « Canada ».
M. Trotignon et son conjoint déconseillent aux parents d’intention de passer par le Québec, « où tout contrat établi entre des parents d’intention et une mère porteuse est considéré comme nul », ce qui est exact tant que le projet de loi en préparation ne sera pas promulgué.
Un Québec moins attirant« Si vous désirez devenir une mère porteuse, appuyez sur le 1 », dit le message de l’agence Canadian Fertility Consulting.
En entrevue, sa fondatrice et présidente-directrice générale, Leia Swanberg, dit avoir elle-même été une mère porteuse, tout comme ses deux filles adultes.
Depuis les débuts de l’agence il y a 17 ans, Mme Swanberg calcule avoir contribué à la naissance de 2700 bébés. À l’heure actuelle, son fichier de mères porteuses, dit-elle, compte 350 noms, qui en sont à différentes étapes de leur parcours.
Elle dit faire entre 10 000 et 15 000 $ par dossier de gestation.
Ses revenus viennent du fait que deux semaines après la mise en contact initiale entre les parties (sans frais, assure Mme Swanberg), celles-ci sont ensuite invitées à utiliser les divers services payants de l’agence.
Sa clientèle de parents d’intention compte 5 % de Québécois, dit-elle, mais elle n’a dans son fichier aucune mère porteuse québécoise. C’est en raison « de cette stigmatisation et de cette croyance au Québec voulant que ce soit illégal ».
Au Canada, la Loi sur la procréation assistée interdit toute rétribution à une mère porteuse. Seul le remboursement de ses dépenses est autorisé. Les « intermédiaires » – appelées « agences » ou « firmes de consultants » – ne peuvent pas faire de publicité ni obtenir de rétribution pour la mise en relation entre les mères porteuses et les parents d’intention.
De la poudre aux yeux, selon Me Dominique Goubau, professeur associé de droit à l’Université Laval, spécialiste du droit des personnes,
de la famille et de l’enfance.
Certains chercheurs diront que les contrats de mère porteuse sont essentiellement des ententes entre des personnes de bonne foi et des mères porteuses purement altruistes. Je pense que c’est un mythe. C’est sûr qu’il y en a, mais ce n’est pas la majorité.
Me Dominique Goubau, professeur associé de droit à l’Université Laval, spécialiste du droit des personnes, de la famille et de l’enfance
Dans la pratique du droit, poursuit-il, il est connu que les mères porteuses sont très régulièrement rémunérées, que ce soit par une entente non écrite parallèle à la convention légale ou en surfant sur « la loi fédérale très inefficace » autorisant
le remboursement de dépenses non spécifiées.
Les recherches sur la gestation brossent à son avis un portrait partial, car les chercheurs n’arrivent à joindre que celles et ceux qui ont respecté la loi. Les autres « ne parlent pas aux chercheurs », dit-il.
Dans l’étude « Grossesses pour autrui : état de la situation au Québec », le Conseil du statut de la femme parle d’une « industrie de la gestation de la procréation assistée ».
« La situation est telle que cette industrie canadienne fait l’objet de prévisions économiques (Global Market Insights, 2022) ».
Aucun doute là-dessus, corrobore la chercheuse Alana Cattapan.
Au Canada, c’est une industrie de plusieurs millions. Aux États-Unis, Global Market Insights la chiffrait à 14 milliards américains en 2022 et prévoyait un taux de croissance annuel composé de 24,5 % entre 2023 et 2032.
La loi que le Québec s’apprête à promulguer reconnaîtra les conventions entre femmes porteuses et parents d’intention. Mme Cattapan croit qu’il est prévisible que les Français – les plus nombreux parmi les parents d’intention étrangers
de son étude – opteront davantage pour le Québec.
Tout comme il est probable que les Québécois, qui jugent pour l’instant plus prudent de mener à bien leur gestation pour autrui dans une autre province (comme le journaliste de Radio-Canada Gérald Fillion, qui a raconté son parcours sur les ondes de Pénélope), soient maintenant rassurés par le meilleur cadre législatif.
Si le Canada est une destination de choix, selon les chercheuses en droit Karen Busby et Pamela White qui ont publié une étude à ce sujet en 2018, c’est parce que plusieurs pays (Inde, Thaïlande, Népal, etc.) ont fermé leurs frontières aux pays étrangers, que la filiation est rapidement établie dans certaines provinces, que la citoyenneté canadienne est accordée aux enfants nés d’une mère porteuse du Canada et que le dollar canadien est faible par rapport à d’autres devises.
Des agences à encadrerAux quelque 180 mères porteuses qui ont accepté de lui parler – et qui rapportent en général avoir vécu une expérience positive –, Mme Cattapan a demandé ce qu’elles jugeaient important de dire. Certaines ont dit que « leur agence était terrible », « qu’elles ont senti une pression de signer l’entente ». Mais d’autres ont recommandé fortement le recours aux agences, qu’elles ont jugées très utiles.
Plusieurs femmes porteuses ont aussi dit avoir été encouragées par leur agence à présenter le plus de factures possible. Mme Cattapan évoque l’achat d’humidificateur, les cours de yoga, les visites au spa, etc.
Dans « Grossesses pour autrui : état de la situation au Québec », le Conseil du statut de la femme cite la thèse de doctorat de 2020 de Stefanie Carsley qui a interviewé 26 avocats du Canada. Selon l’un d’eux, les agences « opèrent dans une étrange […] zone artificielle […] où elles disent : “nous ne sommes pas payées pour organiser les grossesses pour autrui parce que nous ne sommes pas autorisées à le faire, mais nous allons être payées pour tous ces autres services périphériques que nous allons fournir”. Mais tout le monde sait que la seule raison pour laquelle les gens se tournent vers une agence, c’est pour qu’elles organisent leur projet de grossesse pour autrui ».
Le Français Sébastien Trotignon, qui avait fait ses devoirs et lu les textes de loi, dit en entrevue téléphonique avoir été très conscient de cette zone grise. « La formulation dans les contrats, elle est telle que ça arrange les agences. »
Mais la priorité pour lui, dit-il, a toujours été que le geste de la femme porteuse soit purement altruiste et que d’aucune façon elle ne soit exploitée. Et en ce sens, il trouve normal qu’un grand nombre de dépenses soient remboursées aux mères porteuses, à la hauteur du si grand don de soi qu’elles font, dit-il.
Mieux protéger les mères porteuses et les enfantsSi le projet de loi 12 est adopté, le consentement de la mère porteuse à renoncer à toute filiation avec l’enfant ne pourra être donné qu’entre le 7e et le 30e jour suivant l’accouchement.
Le projet québécois de loi 12 – étudié en commission parlementaire ces jours-ci – vise à mieux protéger les droits des mères porteuses et des enfants issus d’un projet de grossesse pour autrui. Mais la tâche est herculéenne et il ne faut y voir qu’« une tentative d’encadrement de questions complexes ».
C’est ce qu’explique Me Dominique Goubau, professeur associé de droit de l’Université Laval,
spécialiste du droit des personnes, de la famille et de l’enfance.
La bonne nouvelle, dit-il, c’est que le contrat de mère porteuse devra être fait par écrit (et, accessoirement, devant notaire). « C’est une bonne chose, il n’y aura alors pas de contestation sur la réalité des intentions. »
Le projet de loi couvre très large. Il y est proposé que les mères porteuses aient obligatoirement 21 ans et plus. Que le consentement de la mère porteuse à renoncer à toute filiation avec l’enfant ne puisse être donné qu’entre le 7e et le 30e jour suivant l’accouchement. Que si les gamètes d’un tiers ont été utilisés, ni le donneur ni l’enfant ne puissent prétendre ultérieurement à un lien de filiation.
Qu’est-il prévu quand la mère porteuse sera à l’étranger ? Le projet de loi prévoit que « le projet parental devra préalablement être autorisé par le ministre responsable des services sociaux ».
Et si une personne issue d’un gamète a besoin de connaître les antécédents de santé du donneur ou de la donneuse pour des raisons génétiques ? Dès lors qu’un médecin est d’avis que la santé de son patient le justifie, il pourra obtenir les renseignements médicaux, mais seulement à condition que le donneur l’autorise.
La mère porteuse aurait droit à un maximum de 18 semaines de prestations après la naissance ; un père dans une gestation pour autrui aurait droit à 5 semaines de prestations de paternité et aux 32 semaines de prestations parentales partageables.
Isabel Côté, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la procréation pour autrui et les liens familiaux, trouve que c’est une excellente chose que le Québec régule la gestation pour autrui et que la filiation soit établie dans l’intérêt de l’enfant. Cela est nettement préférable à ce qui a cours actuellement, dit-elle, à savoir « des tribunaux qui évaluent les situations à la pièce ».
Mme Côté regrette cependant que le projet de loi québécois ne contienne pas de balise face aux intermédiaires que sont les agences.
Alana Cattapan, professeure à la Chaire canadienne de recherche sur la politique de la reproduction, voit d’un très bon œil ce projet de loi. Elle espère cependant une surveillance plus étroite des agences et elle se demande par ailleurs jusqu’à quel
point le projet de loi 12 pourrait être mis en application.
Tout projet de gestation par autrui mené à l’étranger par des Québécois devra avoir reçu au préalable l’approbation du ministre des Services sociaux, le Québec voulant s’assurer que le projet soit fait suivant des principes éthiques. Mais comme des mères porteuses peuvent être trouvées dans plusieurs pays, comment le Québec pourra-t-il surveiller le tout ? demande-t-elle. « Étudier les pratiques en gestation pour autrui dans différentes juridictions – pratiques qui changent beaucoup au fil du temps –, c’est un travail à temps plein », fait observer Mme Cattapan.
Venir chercher son bébé au Canada
Le Canada est aujourd’hui une destination prisée par les parents d’intention qui désirent avoir recours à une mère porteuse.
« Après six semaines dans ce merveilleux pays qu’est le Canada et après des adieux en larmes à notre incroyable mère porteuse et amie, l’heure est venue de rentrer à la maison, à Lisbonne, avec un nouveau membre dans notre famille, le plus beau des bagages à main. Canada, ton sens de la démocratie et de l’égalité te fait briller. Merci de nous avoir permis de réaliser notre rêve. »
C’est en ces mots sur Twitter – photo à l’appui – que le journaliste Mark Lowen (correspondant en Europe pour la BBC) et son conjoint ont annoncé leur retour au Portugal avec leur nouveau bébé, né au Canada d’une mère porteuse canadienne.
Pourquoi ont-ils choisi le Canada ? « Parce que nous aimons l’idée qu’une femme veuille faire cela par altruisme plutôt que pour un gain financier », répond M. Lowen à La Presse.
Mark Lowen, son conjoint et leur bébé
Combien sont-ils à faire le voyage au Canada pour venir y chercher le bébé conçu par une mère porteuse d’ici ? Combien de Canadiens ont eux-mêmes recours à une mère porteuse ? Impossible de le savoir, indique la Société canadienne de fertilité et d’andrologie.
Alana Cattapan, professeure adjointe à la Chaire canadienne de recherche sur la politique de la reproduction et chercheuse dans le domaine depuis une quinzaine d’années, a réussi à retrouver 180 Canadiennes ayant déjà été mères porteuses (dont 15 Québécoises) ; 40 % des femmes porteuses interrogées ont agi pour des parents d’intention de l’étranger, surtout de la France.
Il existe une dizaine d’agences au Canada qui mettent en relation les femmes porteuses et les parents d’intention, selon Mme Cattapan. Elles leur offrent ensuite une panoplie de services payants : recherche de gamètes (spermatozoïdes et ovules) et de cliniques de procréation assistée, références juridiques, gestion des remboursements des dépenses de la femme porteuse par les parents d’intention, etc.
Sébastien Trotignon est l’un de ces Français venus au Canada pour y trouver une femme porteuse. À trois ans d’écart, elle a porté les deux enfants de son conjoint et lui (à partir d’ovocytes provenant d’autres femmes), explique-t-il en entrevue téléphonique.
Sébastien Trotignon et son conjoint ont créé le site monbébéaucanada.com.
Désireux de faire part de leur expérience, ils ont créé le site monbébéaucanada.com. Ils y précisent qu’il faut prévoir en moyenne « entre 80 000 et 100 000 euros [entre 117 000 $ et 146 000 $] » pour une gestation pour autrui au Canada et donnent des noms d’agences.
« C’est une sacrée somme, mais c’est quand même plus d’un tiers de moins qu’aux États-Unis », peut-on lire sur le site monbébéaucanada.com.
« Grâce au Canada, nous avons pu réaliser ce rêve de fonder une famille », écrivent-ils sur leur site illustré entre autres d’un gamin vêtu d’un chandail rouge portant l’inscription « Canada ».
M. Trotignon et son conjoint déconseillent aux parents d’intention de passer par le Québec, « où tout contrat établi entre des parents d’intention et une mère porteuse est considéré comme nul », ce qui est exact tant que le projet de loi en préparation ne sera pas promulgué.
Un Québec moins attirant« Si vous désirez devenir une mère porteuse, appuyez sur le 1 », dit le message de l’agence Canadian Fertility Consulting.
En entrevue, sa fondatrice et présidente-directrice générale, Leia Swanberg, dit avoir elle-même été une mère porteuse, tout comme ses deux filles adultes.
Depuis les débuts de l’agence il y a 17 ans, Mme Swanberg calcule avoir contribué à la naissance de 2700 bébés. À l’heure actuelle, son fichier de mères porteuses, dit-elle, compte 350 noms, qui en sont à différentes étapes de leur parcours.
Elle dit faire entre 10 000 et 15 000 $ par dossier de gestation.
Ses revenus viennent du fait que deux semaines après la mise en contact initiale entre les parties (sans frais, assure Mme Swanberg), celles-ci sont ensuite invitées à utiliser les divers services payants de l’agence.
Sa clientèle de parents d’intention compte 5 % de Québécois, dit-elle, mais elle n’a dans son fichier aucune mère porteuse québécoise. C’est en raison « de cette stigmatisation et de cette croyance au Québec voulant que ce soit illégal ».
Au Canada, la Loi sur la procréation assistée interdit toute rétribution à une mère porteuse. Seul le remboursement de ses dépenses est autorisé. Les « intermédiaires » – appelées « agences » ou « firmes de consultants » – ne peuvent pas faire de publicité ni obtenir de rétribution pour la mise en relation entre les mères porteuses et les parents d’intention.
De la poudre aux yeux, selon Me Dominique Goubau, professeur associé de droit à l’Université Laval, spécialiste du droit des personnes,
de la famille et de l’enfance.
Certains chercheurs diront que les contrats de mère porteuse sont essentiellement des ententes entre des personnes de bonne foi et des mères porteuses purement altruistes. Je pense que c’est un mythe. C’est sûr qu’il y en a, mais ce n’est pas la majorité.
Me Dominique Goubau, professeur associé de droit à l’Université Laval, spécialiste du droit des personnes, de la famille et de l’enfance
Dans la pratique du droit, poursuit-il, il est connu que les mères porteuses sont très régulièrement rémunérées, que ce soit par une entente non écrite parallèle à la convention légale ou en surfant sur « la loi fédérale très inefficace » autorisant
le remboursement de dépenses non spécifiées.
Les recherches sur la gestation brossent à son avis un portrait partial, car les chercheurs n’arrivent à joindre que celles et ceux qui ont respecté la loi. Les autres « ne parlent pas aux chercheurs », dit-il.
Dans l’étude « Grossesses pour autrui : état de la situation au Québec », le Conseil du statut de la femme parle d’une « industrie de la gestation de la procréation assistée ».
« La situation est telle que cette industrie canadienne fait l’objet de prévisions économiques (Global Market Insights, 2022) ».
Aucun doute là-dessus, corrobore la chercheuse Alana Cattapan.
Au Canada, c’est une industrie de plusieurs millions. Aux États-Unis, Global Market Insights la chiffrait à 14 milliards américains en 2022 et prévoyait un taux de croissance annuel composé de 24,5 % entre 2023 et 2032.
La loi que le Québec s’apprête à promulguer reconnaîtra les conventions entre femmes porteuses et parents d’intention. Mme Cattapan croit qu’il est prévisible que les Français – les plus nombreux parmi les parents d’intention étrangers
de son étude – opteront davantage pour le Québec.
Tout comme il est probable que les Québécois, qui jugent pour l’instant plus prudent de mener à bien leur gestation pour autrui dans une autre province (comme le journaliste de Radio-Canada Gérald Fillion, qui a raconté son parcours sur les ondes de Pénélope), soient maintenant rassurés par le meilleur cadre législatif.
Si le Canada est une destination de choix, selon les chercheuses en droit Karen Busby et Pamela White qui ont publié une étude à ce sujet en 2018, c’est parce que plusieurs pays (Inde, Thaïlande, Népal, etc.) ont fermé leurs frontières aux pays étrangers, que la filiation est rapidement établie dans certaines provinces, que la citoyenneté canadienne est accordée aux enfants nés d’une mère porteuse du Canada et que le dollar canadien est faible par rapport à d’autres devises.
Des agences à encadrerAux quelque 180 mères porteuses qui ont accepté de lui parler – et qui rapportent en général avoir vécu une expérience positive –, Mme Cattapan a demandé ce qu’elles jugeaient important de dire. Certaines ont dit que « leur agence était terrible », « qu’elles ont senti une pression de signer l’entente ». Mais d’autres ont recommandé fortement le recours aux agences, qu’elles ont jugées très utiles.
Plusieurs femmes porteuses ont aussi dit avoir été encouragées par leur agence à présenter le plus de factures possible. Mme Cattapan évoque l’achat d’humidificateur, les cours de yoga, les visites au spa, etc.
Dans « Grossesses pour autrui : état de la situation au Québec », le Conseil du statut de la femme cite la thèse de doctorat de 2020 de Stefanie Carsley qui a interviewé 26 avocats du Canada. Selon l’un d’eux, les agences « opèrent dans une étrange […] zone artificielle […] où elles disent : “nous ne sommes pas payées pour organiser les grossesses pour autrui parce que nous ne sommes pas autorisées à le faire, mais nous allons être payées pour tous ces autres services périphériques que nous allons fournir”. Mais tout le monde sait que la seule raison pour laquelle les gens se tournent vers une agence, c’est pour qu’elles organisent leur projet de grossesse pour autrui ».
Le Français Sébastien Trotignon, qui avait fait ses devoirs et lu les textes de loi, dit en entrevue téléphonique avoir été très conscient de cette zone grise. « La formulation dans les contrats, elle est telle que ça arrange les agences. »
Mais la priorité pour lui, dit-il, a toujours été que le geste de la femme porteuse soit purement altruiste et que d’aucune façon elle ne soit exploitée. Et en ce sens, il trouve normal qu’un grand nombre de dépenses soient remboursées aux mères porteuses, à la hauteur du si grand don de soi qu’elles font, dit-il.
Mieux protéger les mères porteuses et les enfantsSi le projet de loi 12 est adopté, le consentement de la mère porteuse à renoncer à toute filiation avec l’enfant ne pourra être donné qu’entre le 7e et le 30e jour suivant l’accouchement.
Le projet québécois de loi 12 – étudié en commission parlementaire ces jours-ci – vise à mieux protéger les droits des mères porteuses et des enfants issus d’un projet de grossesse pour autrui. Mais la tâche est herculéenne et il ne faut y voir qu’« une tentative d’encadrement de questions complexes ».
C’est ce qu’explique Me Dominique Goubau, professeur associé de droit de l’Université Laval,
spécialiste du droit des personnes, de la famille et de l’enfance.
La bonne nouvelle, dit-il, c’est que le contrat de mère porteuse devra être fait par écrit (et, accessoirement, devant notaire). « C’est une bonne chose, il n’y aura alors pas de contestation sur la réalité des intentions. »
Le projet de loi couvre très large. Il y est proposé que les mères porteuses aient obligatoirement 21 ans et plus. Que le consentement de la mère porteuse à renoncer à toute filiation avec l’enfant ne puisse être donné qu’entre le 7e et le 30e jour suivant l’accouchement. Que si les gamètes d’un tiers ont été utilisés, ni le donneur ni l’enfant ne puissent prétendre ultérieurement à un lien de filiation.
Qu’est-il prévu quand la mère porteuse sera à l’étranger ? Le projet de loi prévoit que « le projet parental devra préalablement être autorisé par le ministre responsable des services sociaux ».
Et si une personne issue d’un gamète a besoin de connaître les antécédents de santé du donneur ou de la donneuse pour des raisons génétiques ? Dès lors qu’un médecin est d’avis que la santé de son patient le justifie, il pourra obtenir les renseignements médicaux, mais seulement à condition que le donneur l’autorise.
La mère porteuse aurait droit à un maximum de 18 semaines de prestations après la naissance ; un père dans une gestation pour autrui aurait droit à 5 semaines de prestations de paternité et aux 32 semaines de prestations parentales partageables.
Isabel Côté, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la procréation pour autrui et les liens familiaux, trouve que c’est une excellente chose que le Québec régule la gestation pour autrui et que la filiation soit établie dans l’intérêt de l’enfant. Cela est nettement préférable à ce qui a cours actuellement, dit-elle, à savoir « des tribunaux qui évaluent les situations à la pièce ».
Mme Côté regrette cependant que le projet de loi québécois ne contienne pas de balise face aux intermédiaires que sont les agences.
Alana Cattapan, professeure à la Chaire canadienne de recherche sur la politique de la reproduction, voit d’un très bon œil ce projet de loi. Elle espère cependant une surveillance plus étroite des agences et elle se demande par ailleurs jusqu’à quel
point le projet de loi 12 pourrait être mis en application.
Tout projet de gestation par autrui mené à l’étranger par des Québécois devra avoir reçu au préalable l’approbation du ministre des Services sociaux, le Québec voulant s’assurer que le projet soit fait suivant des principes éthiques. Mais comme des mères porteuses peuvent être trouvées dans plusieurs pays, comment le Québec pourra-t-il surveiller le tout ? demande-t-elle. « Étudier les pratiques en gestation pour autrui dans différentes juridictions – pratiques qui changent beaucoup au fil du temps –, c’est un travail à temps plein », fait observer Mme Cattapan.