Et si le wokisme était une religion?
« Le monde crève de trop de rationalité, de décisions prises par les ingénieurs. Je préfère des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR. »
Cette profession de foi en faveur des sorcières plutôt que des ingénieurs qui construisent des réacteurs nucléaires n’a pas été lancée par un obscur hippie qui vit au fond des bois. Elle l’a été par la députée écologiste Sandrine Rousseau, une professeure d’économie et qui était, jusqu’à tout récemment, vice-présidente de l’Université de Lille.
S’il fallait un exemple pour illustrer le dernier livre de Jean-François Braunstein, il n’y en aurait probablement pas de meilleurs. On savait depuis Raymond Aron qu’il existait des « religions séculières ». Selon cet ancien professeur de la Sorbonne, le wokisme en serait l’exemple le plus récent. C’est la thèse qu’il soutient dans La religion woke (Grasset), un ouvrage détonnant qui, chose rare en France, est parvenu à se mériter aussi bien les éloges du critique du Monde (gauche) que de celui du Figaro (droite).
Nous avions rencontré Jean-François Braunstein il y a quatre ans alors qu’il publiait un livre intitulé La philosophie devenue folle (Grasset). Il y critiquait un ensemble de nouveaux courants philosophiques qui rompaient avec l’humanisme pour promouvoir la disparition des sexes, le racialisme, l’animalisme ou le transhumanisme.
« À cette époque, je sentais venir des choses et je parlais de dérives théoriques. Cela se limitait au petit milieu des philosophes ou des militants universitaires. Mais, depuis, les idées wokes sont sorties des facultés de sciences humaines pour toucher celles de mathématiques, de physique et de biologie. Elles ont pénétré le milieu politique, éducatif et les entreprises. On les enseigne à l’école primaire et secondaire. »
« Il faut y croire puisque c’est absurde »Braunstein cite l’exemple des biologistes Richard Dawkins et Jerry Coyne, qui ont protesté contre la décision des universités de Nouvelle-Zélande d’enseigner à parité les sciences reconnues, dont la théorie de l’évolution et les thèses créationnistes maories (Mātauranga Māori). La Société royale des sciences leur a répondu qu’ils avaient une « définition étroite et dépassée de la science ».
L’an dernier, le mathématicien roumain Sergiu Klainerman, de l’Université de Princeton, s’insurgeait contre l’omniprésence du wokisme dans les facultés de mathématiques. Au moins, en Roumanie, disait-il, on ne m’accusait pas de faire des « mathématiques blanches ». Même en France, dans les facultés de médecine, on parle dorénavant de « personnes enceintes » et de « lait parental ».
Comment expliquer, se demande Braunstein, que des êtres en apparence sensés ne bronchent pas en entendant que « des hommes sont enceints », que « des femmes ont un pénis », que « chacun peut choisir son sexe », que « la biologie est viriliste »
ou que « les mathématiques sont racistes » ?
« Je me suis longtemps posé la question. Et puis, j’ai compris que nous faisions face à une forme de pensée religieuse. Le wokisme a toutes les caractéristiques d’un mouvement religieux ; par son prosélytisme d’abord. On y pratique des rites qui relèvent de la religion, comme le fait de mettre le genou par terre au moment de la mort de George Floyd. Au Canada, on a brûlé des livres pour en répandre les cendres. Le mot woke [éveillé], emprunté à la culture populaire noire, évoque lui-même une forme de révélation. Comme disait le philosophe Tertullien [IIIe siècle], “il faut y croire puisque c’est absurde” ! »
Selon Braunstein, la pensée woke est fondée sur une critique du rationalisme, des Lumières et de l’humanisme. Sandrine Rousseau ne dit-elle pas que, pour elle, le problème commence avec le rationalisme de Descartes ? Elle reproche aussi à Buffon et à Linné d’avoir classé les plantes, et donc « hiérarchisé » la nature.
La théorie du genre est centrale dans le wokisme, dit Braunstein. « Elle permet de se débarrasser du corps. Elle fait penser à la gnose, une hérésie chrétienne où le corps personnifiait le mal. Les hérétiques marcionistes [IIe siècle] estimaient aussi que le Christ ne pouvait pas être devenu un homme. Pour les wokes, il est incompréhensible que l’on soit dans un corps sans l’avoir choisi. Chaque conscience devrait donc pouvoir choisir son corps, quel qu’en soit le prix technologique. Malheureusement, nous sommes devant une religion obscurantiste. On est loin de saint Thomas d’Aquin qui prêchait l’accord de la raison et de la foi. »
L’essayiste reprend notamment la thèse du professeur de l’Université du Dakota du Sud, Joseph Bottum. Selon lui, l’effondrement du protestantisme aux États-Unis a entraîné une recrudescence du mouvement de « l’Évangile social ». Les wokes ne seraient que des post-protestants qui auraient récupéré ces thèmes en supprimant la figure de Dieu.
« On a substitué le racisme, le virilisme ou le privilège blanc au péché originel. Malheureusement, contrairement au protestantisme, dans cette nouvelle religion, il n’y a plus de rédemption possible. Pas de pardon. On est blanc pour l’éternité, et donc pécheur. »
La religion des élites On s’étonne tout de même qu’un tel courant de pensée ait pu naître dans les universités, lieu par excellence de la pensée rationnelle. « Je n’ai pas vraiment d’explication à cela, sinon que dès les années 1960, des militants ont transformé les facultés traditionnelles en Black Studies et en Women Studies, où les recherches ont clairement été orientées en fonction d’une idéologie. Peut-être qu’il faut être un intello pour croire à des choses aussi stupides, disait George Orwell. Christopher Lasch avait bien vu qu’à force d’être devant des algorithmes, les élites perdaient tout contact avec la réalité. On l’a vu durant la pandémie, où il y avait les travailleurs du monde réel qui ne pouvaient pas rester chez eux et les élites qui se faisaient livrer et continuaient à travailler sur leurs ordinateurs. »
Le wokisme serait, dit Braunstein, en train de devenir la religion des élites. Selon le journaliste américain Andrew Sullivan, « nous vivons tous sur un campus » puisque dorénavant, les universités forment toutes les élites de la société. D’où la grande popularité du wokisme aussi bien chez Disney qu’à Wall Street.
« Cette déréalisation du monde, qui professe notamment que les sexes n’existent plus, va totalement dans le sens des GAFAM et de leur monde virtuel. Le Metavers ne nous promet-il pas de voyager où bon nous semble, de rencontrer qui nous voulons quand nous voulons et, pourquoi pas, de changer de sexe ou de race par un simple clic ? Le wokisme va aussi dans le sens du transhumanisme et de l’idée qu’on pourrait avoir un corps parfait et même télécharger sa conscience. C’est la vie sur Internet qui continue dans la réalité. »
« Un terreau d’inculture »Plus fondamentalement, juge Braunstein, cette nouvelle forme de pensée religieuse profite de l’effondrement de l’école. « Tout ça prolifère sur un terreau d’inculture énorme. Depuis quelques années, en France, on a supprimé presque toutes les épreuves de culture générale considérées comme discriminantes. Pour réduire Colbert au Code noir, il ne faut rien connaître de cet immense ministre. De même, pour réduire Voltaire au racisme, il ne faut pas l’avoir lu. »
Jean-François Braunstein est loin d’être optimiste. « Malheureusement, quand on est sous l’empire d’une croyance, on ne peut pas être convaincu. On est inaccessible au raisonnement. C’est une très mauvaise nouvelle. » Le professeur qui vient tout juste de quitter l’université s’inquiète surtout pour les jeunes générations à qui l’on impose cette morale étouffante. « Soit ils succomberont et répéteront le discours dominant, soit ils pratiqueront un double langage. Dans les deux cas, ça ne favorisera pas les individus libres et originaux. »
Cette profession de foi en faveur des sorcières plutôt que des ingénieurs qui construisent des réacteurs nucléaires n’a pas été lancée par un obscur hippie qui vit au fond des bois. Elle l’a été par la députée écologiste Sandrine Rousseau, une professeure d’économie et qui était, jusqu’à tout récemment, vice-présidente de l’Université de Lille.
S’il fallait un exemple pour illustrer le dernier livre de Jean-François Braunstein, il n’y en aurait probablement pas de meilleurs. On savait depuis Raymond Aron qu’il existait des « religions séculières ». Selon cet ancien professeur de la Sorbonne, le wokisme en serait l’exemple le plus récent. C’est la thèse qu’il soutient dans La religion woke (Grasset), un ouvrage détonnant qui, chose rare en France, est parvenu à se mériter aussi bien les éloges du critique du Monde (gauche) que de celui du Figaro (droite).
Nous avions rencontré Jean-François Braunstein il y a quatre ans alors qu’il publiait un livre intitulé La philosophie devenue folle (Grasset). Il y critiquait un ensemble de nouveaux courants philosophiques qui rompaient avec l’humanisme pour promouvoir la disparition des sexes, le racialisme, l’animalisme ou le transhumanisme.
« À cette époque, je sentais venir des choses et je parlais de dérives théoriques. Cela se limitait au petit milieu des philosophes ou des militants universitaires. Mais, depuis, les idées wokes sont sorties des facultés de sciences humaines pour toucher celles de mathématiques, de physique et de biologie. Elles ont pénétré le milieu politique, éducatif et les entreprises. On les enseigne à l’école primaire et secondaire. »
« Il faut y croire puisque c’est absurde »Braunstein cite l’exemple des biologistes Richard Dawkins et Jerry Coyne, qui ont protesté contre la décision des universités de Nouvelle-Zélande d’enseigner à parité les sciences reconnues, dont la théorie de l’évolution et les thèses créationnistes maories (Mātauranga Māori). La Société royale des sciences leur a répondu qu’ils avaient une « définition étroite et dépassée de la science ».
L’an dernier, le mathématicien roumain Sergiu Klainerman, de l’Université de Princeton, s’insurgeait contre l’omniprésence du wokisme dans les facultés de mathématiques. Au moins, en Roumanie, disait-il, on ne m’accusait pas de faire des « mathématiques blanches ». Même en France, dans les facultés de médecine, on parle dorénavant de « personnes enceintes » et de « lait parental ».
Comment expliquer, se demande Braunstein, que des êtres en apparence sensés ne bronchent pas en entendant que « des hommes sont enceints », que « des femmes ont un pénis », que « chacun peut choisir son sexe », que « la biologie est viriliste »
ou que « les mathématiques sont racistes » ?
« Je me suis longtemps posé la question. Et puis, j’ai compris que nous faisions face à une forme de pensée religieuse. Le wokisme a toutes les caractéristiques d’un mouvement religieux ; par son prosélytisme d’abord. On y pratique des rites qui relèvent de la religion, comme le fait de mettre le genou par terre au moment de la mort de George Floyd. Au Canada, on a brûlé des livres pour en répandre les cendres. Le mot woke [éveillé], emprunté à la culture populaire noire, évoque lui-même une forme de révélation. Comme disait le philosophe Tertullien [IIIe siècle], “il faut y croire puisque c’est absurde” ! »
Selon Braunstein, la pensée woke est fondée sur une critique du rationalisme, des Lumières et de l’humanisme. Sandrine Rousseau ne dit-elle pas que, pour elle, le problème commence avec le rationalisme de Descartes ? Elle reproche aussi à Buffon et à Linné d’avoir classé les plantes, et donc « hiérarchisé » la nature.
La théorie du genre est centrale dans le wokisme, dit Braunstein. « Elle permet de se débarrasser du corps. Elle fait penser à la gnose, une hérésie chrétienne où le corps personnifiait le mal. Les hérétiques marcionistes [IIe siècle] estimaient aussi que le Christ ne pouvait pas être devenu un homme. Pour les wokes, il est incompréhensible que l’on soit dans un corps sans l’avoir choisi. Chaque conscience devrait donc pouvoir choisir son corps, quel qu’en soit le prix technologique. Malheureusement, nous sommes devant une religion obscurantiste. On est loin de saint Thomas d’Aquin qui prêchait l’accord de la raison et de la foi. »
L’essayiste reprend notamment la thèse du professeur de l’Université du Dakota du Sud, Joseph Bottum. Selon lui, l’effondrement du protestantisme aux États-Unis a entraîné une recrudescence du mouvement de « l’Évangile social ». Les wokes ne seraient que des post-protestants qui auraient récupéré ces thèmes en supprimant la figure de Dieu.
« On a substitué le racisme, le virilisme ou le privilège blanc au péché originel. Malheureusement, contrairement au protestantisme, dans cette nouvelle religion, il n’y a plus de rédemption possible. Pas de pardon. On est blanc pour l’éternité, et donc pécheur. »
La religion des élites On s’étonne tout de même qu’un tel courant de pensée ait pu naître dans les universités, lieu par excellence de la pensée rationnelle. « Je n’ai pas vraiment d’explication à cela, sinon que dès les années 1960, des militants ont transformé les facultés traditionnelles en Black Studies et en Women Studies, où les recherches ont clairement été orientées en fonction d’une idéologie. Peut-être qu’il faut être un intello pour croire à des choses aussi stupides, disait George Orwell. Christopher Lasch avait bien vu qu’à force d’être devant des algorithmes, les élites perdaient tout contact avec la réalité. On l’a vu durant la pandémie, où il y avait les travailleurs du monde réel qui ne pouvaient pas rester chez eux et les élites qui se faisaient livrer et continuaient à travailler sur leurs ordinateurs. »
Le wokisme serait, dit Braunstein, en train de devenir la religion des élites. Selon le journaliste américain Andrew Sullivan, « nous vivons tous sur un campus » puisque dorénavant, les universités forment toutes les élites de la société. D’où la grande popularité du wokisme aussi bien chez Disney qu’à Wall Street.
« Cette déréalisation du monde, qui professe notamment que les sexes n’existent plus, va totalement dans le sens des GAFAM et de leur monde virtuel. Le Metavers ne nous promet-il pas de voyager où bon nous semble, de rencontrer qui nous voulons quand nous voulons et, pourquoi pas, de changer de sexe ou de race par un simple clic ? Le wokisme va aussi dans le sens du transhumanisme et de l’idée qu’on pourrait avoir un corps parfait et même télécharger sa conscience. C’est la vie sur Internet qui continue dans la réalité. »
« Un terreau d’inculture »Plus fondamentalement, juge Braunstein, cette nouvelle forme de pensée religieuse profite de l’effondrement de l’école. « Tout ça prolifère sur un terreau d’inculture énorme. Depuis quelques années, en France, on a supprimé presque toutes les épreuves de culture générale considérées comme discriminantes. Pour réduire Colbert au Code noir, il ne faut rien connaître de cet immense ministre. De même, pour réduire Voltaire au racisme, il ne faut pas l’avoir lu. »
Jean-François Braunstein est loin d’être optimiste. « Malheureusement, quand on est sous l’empire d’une croyance, on ne peut pas être convaincu. On est inaccessible au raisonnement. C’est une très mauvaise nouvelle. » Le professeur qui vient tout juste de quitter l’université s’inquiète surtout pour les jeunes générations à qui l’on impose cette morale étouffante. « Soit ils succomberont et répéteront le discours dominant, soit ils pratiqueront un double langage. Dans les deux cas, ça ne favorisera pas les individus libres et originaux. »