Quand un symbole du sexisme religieux devient un droit fondamental
La Loi québécoise sur la laïcité de l’État (loi 21) a été validée en bonne partie par le jugement de la Cour supérieure du Québec, au grand soulagement de ses défenseurs craignant son invalidation par le Tribunal. Toutefois, le contenu de ce jugement est décevant à maints égards.
Dès le début du procès, il était clair que le juge Marc-André Blanchard penchait en faveur des contestataires de la loi. Dans son jugement de 240 pages, il adopte leurs arguments voulant que cette loi porterait atteinte aux droits fondamentaux des minorités, particulièrement ceux des femmes musulmanes. La loi n’a donc été validée que grâce à la disposition de dérogation, renouvelable tous les cinq ans,
ce qui rend son avenir précaire.
Le principal point de discorde entourant cette loi réside dans l’inclusion des enseignantes et enseignants des écoles primaires et secondaires publiques dans la liste des fonctions soumises à la restriction de signes religieux. Tous s’accordent à dire que cette restriction touche essentiellement des femmes musulmanes portant le hidjab.
Dès son adoption, la contestation juridique de la loi a été portée, sans surprise, par trois musulmanes portant le hidjab, soutenues par le National Council of Canadian Muslims et des organismes de défense des droits. Bien que les trois plaignantes ne soient pas enseignantes mais qu’elles aspirent à le devenir, elles se disent lésées par les restrictions prévues par cette loi.
L’armada juridique et les ressources déployées pour soutenir leur point de vue semblent disproportionnées au regard du très petit nombre de personnes directement concernées par cette restriction. C’est pourquoi certains analystes affirment que l’enjeu principal de la contestation est avant tout politique et vise à limiter le pouvoir législatif du Québec dans les domaines de sa compétence.
Une atteinte à l’égalité des sexes
Ironiquement, les trois plaignantes ont invoqué l’atteinte à l’égalité des sexes, protégée par nos Chartes, en appui à leur revendication de porter le hidjab (voire le niqab si elles le souhaitent) tout en enseignant.
Il est difficile d’ignorer que le hidjab est depuis longtemps objet de controverses, notamment dans les sociétés musulmanes. L’analyse du contexte historique entourant sa progression très rapide au cours des dernières décennies indique qu’il est généralement accompagné de diverses formes de pressions sociales visant à pousser les femmes et les fillettes musulmanes à l’adopter.
Un certain nombre de musulmans, y compris des islamologues, soutiennent que le hidjab n’est pas une obligation religieuse de l’islam, mais un symbole sexiste issu d’une idéologie patriarcale réduisant les femmes à leur corps. Autrement dit, le hidjab n’est pas un marqueur identitaire et religieux. C’est plutôt un marqueur sexiste de l’extrémisme religieux dont il est devenu le symbole, même s’il a été finalement adopté par un cercle plus large que celui des groupes fondamentalistes.
S’il est vrai que la liberté religieuse implique que toute personne a le droit de croire ce qu’elle veut, d’obéir aux lois divines et de porter des signes religieux même dans l’espace public, une société démocratique et laïque n’est pas tenue d’accorder à ces choix une place dans des positions d’autorité au sein de ses institutions. Le principe de laïcité exige la reconnaissance du droit à un enseignement laïque pour tous, y compris pour les femmes musulmanes non voilées et leurs enfants, sans avoir à subir
des pressions morales et sociales au sein de l’école publique.
Amalgames et détournement de sens
Les opposants à la loi 21 soutiennent que cette loi stigmatise les femmes musulmanes. Or dans les faits, c’est le hidjab qui stigmatise les musulmanes non voilées. En témoignent celles qui osent dénoncer les pressions subies visant à les pousser à le porter. Mais dans son jugement de 240 pages, le juge Blanchard a décidé d’écarter ces témoignages concrets pour ne retenir que ceux des plaignantes qui se disent victimes potentielles des restrictions prévues par la loi.
Le juge a adopté l’amalgame mis en avant par les détracteurs de cette loi qui confondent femmes voilées et femmes musulmanes. Or au Québec et au Canada, la majorité des musulmanes ne portent pas de hidjab, ce qui signifie que la loi n’aura aucun effet restrictif sur elles. Pas plus que sur les membres des minorités, dont la grande majorité ne portent aucun signe religieux. Par ailleurs, s’appuyant sur le rapport d’un témoin expert, fondé sur une étude concernant les Noirs aux États-Unis, le juge confond l’acceptation des signes religieux et la valorisation de la diversité culturelle, comme si l’un n’allait pas sans l’autre. Ces amalgames ont faussé son jugement.
Un choix n’est pas nécessairement un droit fondamental. Et le fait qu’il soit fait par des femmes ne suffit pas à en faire une cause féministe. L’ONU reconnaît qu’il faut combattre les pratiques culturelles préjudiciables, comme l’excision, les mariages précoces et l’accent mis sur la virginité. Pourtant, ces pratiques sont mises en œuvre et renforcées par des femmes.
Dans la mobilisation en faveur du hidjab, il y a un détournement de sens autour d’un enjeu important lié à la laïcité. Compte tenu de l’influence croissante des intégrismes religieux, la restriction de signes religieux dans certaines fonctions a été adoptée par de nombreux pays démocratiques. Cette mesure restrictive ne relève pas du racisme ni de l’exclusion, mais de la volonté d’éviter l’introduction de la norme religieuse au sein des institutions laïques de l’État.
La position d’appui à la contestation de la loi, justifiée au nom de l’antiracisme, ne tient aucun compte du fait que des membres des minorités qui ont fui l’intégrisme religieux dans leur pays d’origine soutiennent cette loi, sachant que cette idéologie liberticide s’exprime à travers ses symboles. Comme le souligne l’islamologue Rachid Benzine, le monde n’est pas divisé entre les croyants et les non-croyants, mais entre les personnes qui soutiennent la démocratie et celles qui la grugent. Le jugement récent se situe malheureusement du côté des dernières.
Dès le début du procès, il était clair que le juge Marc-André Blanchard penchait en faveur des contestataires de la loi. Dans son jugement de 240 pages, il adopte leurs arguments voulant que cette loi porterait atteinte aux droits fondamentaux des minorités, particulièrement ceux des femmes musulmanes. La loi n’a donc été validée que grâce à la disposition de dérogation, renouvelable tous les cinq ans,
ce qui rend son avenir précaire.
Le principal point de discorde entourant cette loi réside dans l’inclusion des enseignantes et enseignants des écoles primaires et secondaires publiques dans la liste des fonctions soumises à la restriction de signes religieux. Tous s’accordent à dire que cette restriction touche essentiellement des femmes musulmanes portant le hidjab.
Dès son adoption, la contestation juridique de la loi a été portée, sans surprise, par trois musulmanes portant le hidjab, soutenues par le National Council of Canadian Muslims et des organismes de défense des droits. Bien que les trois plaignantes ne soient pas enseignantes mais qu’elles aspirent à le devenir, elles se disent lésées par les restrictions prévues par cette loi.
L’armada juridique et les ressources déployées pour soutenir leur point de vue semblent disproportionnées au regard du très petit nombre de personnes directement concernées par cette restriction. C’est pourquoi certains analystes affirment que l’enjeu principal de la contestation est avant tout politique et vise à limiter le pouvoir législatif du Québec dans les domaines de sa compétence.
Une atteinte à l’égalité des sexes
Ironiquement, les trois plaignantes ont invoqué l’atteinte à l’égalité des sexes, protégée par nos Chartes, en appui à leur revendication de porter le hidjab (voire le niqab si elles le souhaitent) tout en enseignant.
Il est difficile d’ignorer que le hidjab est depuis longtemps objet de controverses, notamment dans les sociétés musulmanes. L’analyse du contexte historique entourant sa progression très rapide au cours des dernières décennies indique qu’il est généralement accompagné de diverses formes de pressions sociales visant à pousser les femmes et les fillettes musulmanes à l’adopter.
Un certain nombre de musulmans, y compris des islamologues, soutiennent que le hidjab n’est pas une obligation religieuse de l’islam, mais un symbole sexiste issu d’une idéologie patriarcale réduisant les femmes à leur corps. Autrement dit, le hidjab n’est pas un marqueur identitaire et religieux. C’est plutôt un marqueur sexiste de l’extrémisme religieux dont il est devenu le symbole, même s’il a été finalement adopté par un cercle plus large que celui des groupes fondamentalistes.
S’il est vrai que la liberté religieuse implique que toute personne a le droit de croire ce qu’elle veut, d’obéir aux lois divines et de porter des signes religieux même dans l’espace public, une société démocratique et laïque n’est pas tenue d’accorder à ces choix une place dans des positions d’autorité au sein de ses institutions. Le principe de laïcité exige la reconnaissance du droit à un enseignement laïque pour tous, y compris pour les femmes musulmanes non voilées et leurs enfants, sans avoir à subir
des pressions morales et sociales au sein de l’école publique.
Amalgames et détournement de sens
Les opposants à la loi 21 soutiennent que cette loi stigmatise les femmes musulmanes. Or dans les faits, c’est le hidjab qui stigmatise les musulmanes non voilées. En témoignent celles qui osent dénoncer les pressions subies visant à les pousser à le porter. Mais dans son jugement de 240 pages, le juge Blanchard a décidé d’écarter ces témoignages concrets pour ne retenir que ceux des plaignantes qui se disent victimes potentielles des restrictions prévues par la loi.
Le juge a adopté l’amalgame mis en avant par les détracteurs de cette loi qui confondent femmes voilées et femmes musulmanes. Or au Québec et au Canada, la majorité des musulmanes ne portent pas de hidjab, ce qui signifie que la loi n’aura aucun effet restrictif sur elles. Pas plus que sur les membres des minorités, dont la grande majorité ne portent aucun signe religieux. Par ailleurs, s’appuyant sur le rapport d’un témoin expert, fondé sur une étude concernant les Noirs aux États-Unis, le juge confond l’acceptation des signes religieux et la valorisation de la diversité culturelle, comme si l’un n’allait pas sans l’autre. Ces amalgames ont faussé son jugement.
Un choix n’est pas nécessairement un droit fondamental. Et le fait qu’il soit fait par des femmes ne suffit pas à en faire une cause féministe. L’ONU reconnaît qu’il faut combattre les pratiques culturelles préjudiciables, comme l’excision, les mariages précoces et l’accent mis sur la virginité. Pourtant, ces pratiques sont mises en œuvre et renforcées par des femmes.
Dans la mobilisation en faveur du hidjab, il y a un détournement de sens autour d’un enjeu important lié à la laïcité. Compte tenu de l’influence croissante des intégrismes religieux, la restriction de signes religieux dans certaines fonctions a été adoptée par de nombreux pays démocratiques. Cette mesure restrictive ne relève pas du racisme ni de l’exclusion, mais de la volonté d’éviter l’introduction de la norme religieuse au sein des institutions laïques de l’État.
La position d’appui à la contestation de la loi, justifiée au nom de l’antiracisme, ne tient aucun compte du fait que des membres des minorités qui ont fui l’intégrisme religieux dans leur pays d’origine soutiennent cette loi, sachant que cette idéologie liberticide s’exprime à travers ses symboles. Comme le souligne l’islamologue Rachid Benzine, le monde n’est pas divisé entre les croyants et les non-croyants, mais entre les personnes qui soutiennent la démocratie et celles qui la grugent. Le jugement récent se situe malheureusement du côté des dernières.
Yolande GeadahAutrice, témoin expert au procès sur la loi 21
LE DEVOIR
https://www.ledevoir.com/opinion/idees/599553/loi-sur-la-laicite-de-l-etat-quand-un-symbole-du-sexisme-religieux-devient-un-droit-fondamental?&utm_medium=email&utm_source=20608&utm_campaign=Courrier+des+id%c3%a9es+%e2%80%93+Week-end+du+1er+mai+2021
LE DEVOIR
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